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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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serez sans nul doute le seul retraitant et il ne viendra à l'idée de personne de s'occuper de vous ; vous serez libre ; vous pourrez, si vous le voulez, partir de ce monastère tel que vous y serez entré, sans vous être confessé, sans vous être approché des sacrements ; votre volonté y sera respectée et aucun moine ne tentera, sans votre autorisation, de la sonder. C'est à vous seul qu'il appartiendra de décider, si, oui ou non, vous voulez vous convertir…
    Et je serai franc jusqu'au bout, n'est-ce pas ? Vous êtes, je vous l'ai déjà déclaré du reste, un homme sensitif et méfiant ; eh bien, le prêtre, tel qu'il se présente à Paris, le religieux même non cloîtré vous semblent… comment m'exprimerai-je ? Des âmes subalternes… pour ne pas dire plus…
    Durtal protesta vaguement, d'un geste.
    - Permettez-moi de poursuivre. Une arrière-pensée vous viendrait sur l'ecclésiastique auquel écherrait le soin de vous laver ; vous seriez trop sûr qu'il n'est pas un saint, - c'est peu théologique, car fût-il le dernier des prêtres que son absolution n'en serait pas moins valable, si vous la méritiez, - mais enfin, il y a là une question de sentiment que je respecte, - vous penseriez de lui, en somme : il vit ainsi que moi, il ne se prive pas plus que moi, rien ne me prouve que sa conscience soit bien supérieure à la mienne ; et, de là, à perdre toute confiance et à tout quitter, il n'y a qu'un pas. A la Trappe, je vous défie bien de raisonner ainsi, de ne point devenir humble. Quand vous verrez des hommes qui, après avoir tout abandonné pour servir Dieu, mènent une vie de privations et de pénitence telle qu'aucun gouvernement n'oserait l'infliger à ses forçats, vous serez bien obligé de vous avouer que vous n'êtes pas grand'chose à côté d'eux !
    Durtal se taisait. Après la stupeur qu'il avait éprouvée à s'entendre proposer une issue pareille, il s'était sourdement irrité contre cet ami qui, si discret jusqu'alors, s'était subitement rué sur son être et l'avait violemment ouvert. Il en avait sorti la dégoûtante vision d'une existence dépareillée, usée, réduite à l'état de poussier, à l'état de loque ! - Et Durtal se reculait de lui-même, convenait que l'abbé avait raison, qu'il fallait pourtant bien étancher le pus de ses sens et expier leurs appétits inexigibles, leurs convoitises abominables, leurs goûts cariés ; et il était pris alors d'une peur irraisonnée, intense. Il avait le vertige du cloître, la transe attirante de cet abîme sur lequel Gévresin le faisait pencher.
    Enervé par cette cérémonie d'une prise de vêture, étourdi par le coup que lui avait, en sortant, asséné le prêtre, il ressentait maintenant une angoisse presque physique dans laquelle tout finissait par se confondre. Il ne savait plus à quelles réflexions entendre, ne voyait surnager, dans ce remous d'idées troubles, qu'une pensée nette : que le moment tant redouté de prendre une résolution était venu.
    L'abbé le regarda, s'aperçut qu'il souffrait réellement et sa pitié s'accrut pour cette âme si malhabile à supporter les luttes.
    Il saisit le bras de Durtal et doucement dit :
    - Mon enfant, croyez-moi, le jour où vous irez de vous-même chez Dieu, le jour où vous frapperez à sa porte, elle s'ouvrira à deux battants et les anges s'effaceront pour vous laisser passer. L'evangile ne ment pas, allez, lorsqu'il affirme qu'il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont que faire de pénitence. Vous serez d'autant mieux accueilli qu'on vous attend ; enfin, soyez assez mon ami pour penser que le vieux prêtre que vous laisserez ici ne demeurera pas inactif et que lui et que les couvents dont il dispose prieront de leur mieux pour vous.
    - Je verrai, répondit Durtal, vraiment ému par l'accent attendri de l'abbé, je verrai… je ne puis me décider ainsi, à l'improviste, je réfléchirai… Ah ! ce n'est pas simple !
    - Priez surtout, fit le prêtre qui était arrivé devant sa porte. J'ai, de mon côté, beaucoup supplié le Seigneur pour qu'il m' éclaire et je vous atteste que cette solution de la Trappe est la seule qu'il m'ait donnée. Implorez-le humblement à votre tour, et vous serez guidé. A bientôt, n'est-ce pas ?
    Et il serra la main de Durtal qui, demeuré seul, finit par se reprendre. Alors, il se rappela les sourires stratégiques, les phrases ambiguës, les

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