En Route
à révéler aux saints. Il s'est constitué l'homme lige de la vierge, et, vivant près d'elle, il s'est fait aussi le héraut de ses attributs, le légat de ses grâces. Sa vie de Marie est, à coup sûr, la seule qui paraisse réellement inspirée, qui se puisse lire. Là où l'abbesse d'Agréda divague, lui demeure rigoureux et reste clair. Il nous montre la vierge existant de toute éternité en Dieu, engendrant sans cesser d'être immaculée "comme le cristal qui reçoit et renvoie hors de lui les rayons du soleil, sans rien perdre de son lustre et qui n'en brille, au contraire, qu'avec plus d'éclat", accouchant sans douleurs, mais souffrant, à la mort de son fils, la peine qu'elle eût dû supporter à sa naissance. Il s'étend enfin en de doctes analyses sur celle qu'il nomme la trésorière de tout bien, la médiatrice d'amour et d'impétration. - oui, mais pour s'entretenir avec elle, rien ne vaut l'officium parvum beatae Virginis que je déposerai avec mon paroissien dans ma valise, conclut Durtal ; ne dérangeons donc point le livre de M. Olier.
Mon fonds commence à s'épuiser, reprit-il. Angèle de Foligno ? Certes, car elle est un brasier autour duquel on peut se chauffer l'âme. Je l'emmène avec moi ; - puis quoi encore ? Les Sermons de Tauler ? C'est tentant, - car jamais on n'a mieux que ce moine traité les sujets les plus abstrus avec un esprit plus lucide. à l'aide d'images familières, d'humbles rapprochements, il parvient à rendre accessibles les plus hautes spéculations de la mystique. Il est et bonhomme et profond ; puis il verse un peu dans le quiétisme, et ce ne serait peut-être pas mauvais d'absorber, là-bas, quelques gouttes de ce looch. Au fait, non, j'aurai surtout besoin de tétaniques. Quant à Suso, c'est un succédané bien inférieur à saint Bonaventure ou à une sainte Angèle, - je l'écarte ainsi que sainte Brigitte de Suède, car celle-là me semble, dans ses entretiens avec le ciel, assistée par un Dieu morose et fatigué, qui ne lui décèle rien d'imprévu, rien de neuf.
Il y a bien encore sainte Madeleine de Pazzi, cette carmélite volubile qui procède dans toute son oeuvre par apostrophes. C'est une exclamative, habile aux analogies, experte en concordances, une sainte affolée de métaphores et d'hyperboles. Elle converse directement avec le père, et bégaie, dans l'extase, les applications des mystères que lui divulgua l'ancien des jours. Ses livres contiennent une page souveraine sur la circoncision, une autre magnifique, construite toute en antithèses, sur le Saint-Esprit, d'autres étranges sur la déification de l'âme humaine, sur son union avec le ciel, sur le rôle assigné dans cette opération aux plaies du Verbe.
Elles sont des nids habités ; l'aigle qui représente la foi gîte dans l'aire du pied gauche ; dans le trou du pied droit réside la gémissante douceur des tourterelles ; dans la blessure de la main gauche, niche la colombe, symbole de l'abandon ; dans la cavité de la main droite, repose l'emblème de l'amour, le pélican.
Et ces oiseaux sortent de leurs nids, viennent chercher l'âme pour la conduire dans la chambre nuptiale de la plaie qui saigne au côté du Christ.
N'est-ce pas aussi cette carmélite qui, ravie par la puissance de la grâce, méprise assez la certitude acquise par la voie des sens pour dire au Seigneur : "Si je vous voyais avec mes yeux, je n'aurais plus la foi, parce que la foi cesse là où se trouve l'évidence".
- Tout bien considéré, fit-il, avec ses dialogues et ses contemplations, Madeleine de Pazzi ouvre d'éloquents horizons, mais l'âme, lutée par la cire des péchés, ne peut la suivre. Non, ce ne serait pas cette sainte-là qui me rassurerait dans un cloître !
Tiens, poursuivit-il en secouant la poussière qui couvrait un volume à couverture grise, tiens, c'est vrai, je possède le Précieux sang du père Faber ; et il rêva, en feuilletant, debout, les pages.
Il se remémorait l'impression oubliée de cette lecture. L'oeuvre de cet oratorien était pour le moins bizarre. Les pages bouillonnaient, coulaient en tumulte, charriant de grandioses visions telles qu'en conçut Hugo, développant des perspectives d'époques, telles que Michelet en voulut peindre. Dans ce volume, s'avançait la solennelle procession du précieux sang, partie des confins de l'humanité, de l'origine même des âges, et elle franchissait les mondes, débordait sur les peuples, submergeait
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