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Enfance

Enfance

Titel: Enfance Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nathalie Sarraute
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ai demandé comment elle a appris tout ce qu’elle sait et elle m’a raconté qu’après la mort de ses parents, elle était devenue une pupille de la tzarine et a été élevée à l’institut Smolny… J’avais eu un livre à Pétersbourg, dont l’histoire se passait à l’institut Smolny… Ma mère trouvait ce livre insipide, de mauvaise qualité… Qu’est-ce qui t’attire là-dedans ? Mais il me passionnait… Je crois même qu’il a inspiré un des épisodes de mon malencontreux roman où je faisais mourir aux premiers souffles du printemps un jeune phtisique…
    Installée par terre, adossée aux genoux de grand-mère, l’écoutant parler de son enfance, je voyais revenir les vastes places enneigées aux reflets bleutés, les façades à colonnes des palais peints de délicates couleurs, les hautes fenêtres doubles, la couche de ouate saupoudrée de paillettes d’argent entre les carreaux ornés de dessins de givre, les stalactites étincelantes, les traîneaux… et dans un de ces palais les larges et longues galeries aux parquets brillants, les petites chambres blanches… le joli uniforme, les règles strictes… un jour de la semaine sur deux on ne parle entre soi que le français… un autre jour l’allemand… il est interdit, même en chuchotant à table ou dans un couloir, de prononcer un seul mot russe. Des Françaises, des Allemandes, des Anglaises surveillent sans cesse, ne laissent rien passer… Et les fêtes… la visite de la tzarine… une apparition toute de beauté et de bonté… les présentations, les révérences… le bal en robes blanches, avec des fleurs dans les cheveux… on ne peut être plus loin des petites rues d’ici, de ces maisons aux façades plates et grises, de nos tabliers noirs, de mon école, de ses classes, de sa cour, de son préau de ciment avec au mur le bon vieux visage du président Fallières…
    Qu’est-ce que tu veux encore que je te raconte ? Ce n’était pas gai tous les jours, il faisait souvent très froid, les règles étaient sévères, je n’avais pas de parents… – Et après, quand tu es sortie ?… – Oh après… j’ai été mariée de bonne heure… avec un officier… Je savais que son mari, Fiodor Cheremetievski, s’était mis à boire… je ne me rappelle plus qui, sûrement pas elle, m’avait dit qu’il était mort d’une maladie effroyable qui vous fait voir des bêtes horribles courir partout… le delirium tremens… Après sa mort, quand je suis restée seule… il était très dépensier, il s’était ruiné… il a fallu que j’élève nos quatre enfants… j’ai dû enseigner, donner des leçons… – C’est pour ça que tu sais si bien ?… – Que veux-tu, j’étais bien obligée… ils étaient encore petits… Maintenant Fiodor… grand-mère parle toujours avec fierté de son fils aîné… Fiodor est professeur de faculté… Génia est très instruite… Lydia… elle n’aime pas beaucoup en parler… Véra dit parfois de cette sœur-là qu’elle est un peu fantasque… et Véra elle-même… grand-mère l’appelle « la petite », c’est sa dernière… on sent qu’elle l’aime…
    —  Il ne semble pas qu’il y ait eu entre elles durant tout ce séjour le moindre dissentiment, jamais un mot désagréable… Quand on y pense, il est étonnant que Véra ait si bien pris tes rapports très affectueux avec sa mère… et aussi un certain éloignement de sa mère, une distance plutôt, à l’égard de Lili… Mais Véra savait que les très petits enfants ne l’intéressaient pas beaucoup et elle devait se rendre compte que le caractère nerveux de Lili, ses caprices continuels et ses cris écartaient d’elle, même son père… Il ne s’en est rapproché davantage que plus tard…  
    — On sentait que Véra aimait et respectait beaucoup sa mère et que sa mère avait de la tendresse pour elle, mais qu’elle l’inquiétait un peu, elle avait dû être difficile à élever… grand-mère m’a dit d’elle un jour… c’est peut-être la seule fois où elle m’en a parlé… « C’est le portrait de son père. Aucun de mes autres enfants ne lui ressemble autant… Quand il y avait quelque chose qu’elle voulait ou qu’elle ne voulait pas faire, il n’y avait aucun moyen… c’est de lui qu’elle tient ça… et aussi son goût pour la danse, un vrai talent… et son intrépidité… Moi je suis plutôt… » Je la serre dans mes bras, je l’étreins… « Oh toi, toi,

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