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Enfance

Enfance

Titel: Enfance Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nathalie Sarraute
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bien… Et un jour nous allons la reprendre. Mais à Poitiers… – Madame !… – Bon, à toi… Oui, c’est ça, à Poitiers nous avons repoussé les Arabes… en 732. Rappelez-vous bien ça : 732… »
    Certains jours arrivent des inspecteurs… des inspecteurs de toutes sortes… des gros poussifs qui ne prononcent que quelques mots en soufflant… des méchants livides et maigres qui sifflent des remarques aigres-douces ou acerbes… et moi aussi je me transforme, je change comme je veux mon aspect, mon âge, ma voix, mes façons…
    Cet inspecteur est un peu dur d’oreille… « Qu’a donc répondu cette élève ?… Je transforme aussitôt la mauvaise réponse… Elle a dit cela ? Il m’a semblé pourtant… – Non Monsieur l’inspecteur, toute la classe l’a entendue… N’est-ce pas ? (d’un air doucereux) mes enfants ?… et toute la classe en chœur, comme un bêlement… Oooui Maadaame… » Quel dommage de dire à mes élèves que pour aujourd’hui la classe est terminée, de ramasser toutes les cocottes en papier, de les ranger l’une contre l’autre dans leur boîte.

 
    Je suis couchée dans ma chambre dans une villa de Meudon où nous passons l’été… Tout mon bras droit de l’épaule au poignet est enflé, dur, brûlant, couvert de pustules, j’ai une grosse fièvre… cela provient de la piqûre qu’a faite à Lili et à moi le médecin d’ici, pour nous empêcher d’attraper la diphtérie. Lili n’a rien, mais moi… j’entends dire qu’il a dû me piquer avec une aiguille pas assez propre… je vais de plus en plus mal, des gros perce-oreilles, des bêtes dont j’ai très peur courent sur moi, vont entrer dans mes oreilles, je crie… papa me parle doucement, sa main est posée sur mon front… chaque fois que je reviens à moi, j’étends le bras et je le sens là, tout près… Personne d’autre que lui… Jamais Véra…  
    — Cela paraît à peine possible… Jamais vraiment ?  
    — Non, jamais, en tout cas au cours de cette maladie.  
    — Elle devait être fâchée avec ton père…  
    — Probablement. Elle se vengeait souvent ainsi en cessant complètement de s’occuper de moi. Et quand Véra avait pris une décision… on aurait pu mourir…  
    — C’est bien le cas de le dire…  
    — Il fait presque nuit… Mon père tout à coup me soulève, m’enveloppe dans une couverture et me porte, aidé par un homme… c’était le chauffeur d’un taxi qu’il avait fait venir de Paris… Tout le long du chemin, de sa voix d’autrefois il me rassure il me caresse la tête… « Ce ne sera rien, tu verras… nous allons chez un grand docteur pour les enfants, un professeur, il saura te guérir… » Le taxi s’arrête dans une large rue de Paris, on me monte, on me porte à travers des grands salons jusqu’à une pièce toute blanche… un docteur m’examine… il prend une pince et coupe un à un les boutons sur mon bras.  
    — On en voit encore aujourd’hui les cicatrices.  
    — Il me met des pansements, il me fait une piqûre, il est très calme et doux. Mon père et le chauffeur me font redescendre. Dans le taxi, mon père a l’air heureux, il me serre contre lui,… Tu vas guérir, le professeur Lesage…  
    — Un nom qu’il a répété souvent… « Le professeur Lesage… quel médecin… je ne l’oublierai jamais… Sans lui… »  
    — « Le professeur Lesage l’a promis… Comme on a bien fait d’aller chez lui… tu vas dormir maintenant, bientôt tu seras dans ton lit, et tout passera, tu seras bientôt guérie, Tachotchek, ma petite fille, ma chérie. »  

 
    Depuis quelque temps en sortant de classe, à quatre heures, je renonce à lambiner dans la rue, à bavarder, à jouer à la marelle, j’ai envie de rentrer tout de suite, je sais qu’elle a entendu sonner la cloche de l’école et qu’elle m’attend… je ne file plus droit dans ma chambre en passant par le couloir, je vais d’abord dans sa chambre à elle, qui donne sur le vestibule, je cours vers elle, je l’embrasse, je la serre dans mes bras, je l’appelle « babouchka » en russe, et en français je l’appelle « grand-mère », c’est elle qui l’a voulu, bien qu’elle soit la mère de Véra.
    Mais il ne peut pas exister de vraie grand-mère qui me convienne, qui me plaise davantage. Elle n’a pourtant pas grand-chose dans son aspect de ce qui rend exquises les grand-mères décrites dans les livres…
    —  Pas

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