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Enfance

Enfance

Titel: Enfance Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nathalie Sarraute
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toi tu es… Personne ne peut être mieux que toi. »  
     
    Et puis aussi brusquement qu’elle était venue, elle est partie. Son fils la suppliait de rentrer, il avait trois filles dont elle s’occupait beaucoup, elle avait promis de revenir au bout de quelques mois et voilà bientôt un an… il faut qu’elle rentre… elle me l’a dit à plusieurs reprises, mais je ne m’y arrêtais pas, c’était impossible, je ne voulais pas… Quand avant de partir elle m’a serrée dans ses bras, nous étions seules, j’étais comme obnubilée. Elle m’a écartée d’elle pour me regarder au fond des yeux, elle m’a caressé la joue et elle m’a dit : « Continue à bien travailler, c’est l’essentiel. » Et puis elle a ajouté quelque chose qui m’a étonnée : « Veille bien sur ton papa. »
    Je n’ai gardé aucun souvenir de l’état où m’a laissée son départ… je ne pourrais que l’imaginer, ce serait facile. Je me souviens par contre avec une parfaite netteté comme quelque temps, assez longtemps après, mon père a demandé à Véra d’un ton un peu inquiet… ils étaient dans la pièce à côté, ils ne pensaient pas que je pouvais les entendre… « Que se passe-t-il avec Natacha ? et elle a répondu : C’est à cause du départ de maman… »

 
    Adèle m’emmenait parfois à l’église de Montrouge où je faisais les mêmes gestes qu’elle… des gestes qui ne me semblaient pas être bien différents de ceux qu’exige la simple politesse… la main plongée rapidement dans le bénitier, l’automatique signe de croix, la brève esquisse de génuflexion en passant devant l’autel… elle aurait été très choquée si je ne l’avais pas fait, comme elle l’aurait été si je n’avais pas dit « Au revoir Madame » en sortant d’une boutique… ou si je ne m’étais pas effacée dans une porte… Il m’était impossible d’imaginer… malgré tous les actes de piété accomplis rigoureusement et très fréquemment par Adèle, elle allait souvent à l’office de six heures du matin, ne manquait jamais la messe un dimanche… je ne pouvais pas lui attribuer la moindre parcelle d’une vie spirituelle, un sentiment quelconque de l’existence possible de quelque chose qui n’était pas sur terre, par terre, au ras de terre où elle vivait.  
    — Mais toi-même, quand tu priais…  
    —  C’était plutôt de la superstition… je récitais « Notre Père qui êtes aux Cieux » ou « Sainte Marie, mère de Dieu »… comme je touchais du bois pour détourner le mauvais sort, ou avec le vague espoir qu’ainsi je recevrais ce que je désirais…
    Avec grand-mère à l’église russe de la rue Daru, je me prosternais front contre terre auprès d’elle, je faisais le signe de croix, cette fois pas comme Adèle, de gauche à droite avec ma main ouverte, mais de droite à gauche avec mon pouce appuyé contre deux doigts.
    Je ne sais si grand-mère était vraiment croyante, je crois qu’elle allait à l’église les jours de fête pour prendre part à des rites qu’elle aimait, pour retrouver sa Russie, s’y replonger, et moi je m’y replongeais avec elle… je retrouvais la chaleur, la lumière d’innombrables cierges, les icônes dans leur châsse comme une dentelle d’argent ou d’or éclairées par les flammes des petites veilleuses de couleur, les chants grégoriens… une ferveur répandue sur tout et en moi comme une exaltation très douce et calme que j’avais déjà ressentie… était-ce à Pétersbourg ou encore avant, à Ivanovo…  
    — C’est étrange qu’à cet âge-là jamais ne te venait l’idée que ces religions n’étaient pas celles de tes ancêtres… que jamais personne ne t’en avait parlé…  
    —  Ma mère ne voulait pas le savoir… je crois qu’elle n’y pensait jamais. Quant à mon père, il considérait toutes les pratiques religieuses comme des survivances… des vieilles croyances dépassées… il était « libre penseur » et pour lui comme pour tous ses amis le fait même de mentionner que quelqu’un est juif ou ne l’est pas, ou qu’il est slave, était le signe de la plus noire réaction, une véritable… indécence…
    Je n’ai jamais entendu dire d’un ami qui venait à la maison qu’il était autre chose que russe ou bien français. Et à l’école même cette notion de Russe ne semblait pas exister, tous les enfants d’où qu’ils fussent venus étaient considérés comme de bons

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