Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
ayant hâte de trouver une solution. Granger voulait saisir cette occasion pour s’attirer la gloire en devenant celui qui avait obtenu la reddition de Cochise. Pour Cochise, c’était la fin de la route ; il avait presque soixante ans et se sentait très fatigué ; des mèches grises striaient sa chevelure qui lui tombait sur les épaules.
Granger expliqua que la paix n’était possible que si les Chiricahuas acceptaient de vivre sur une réserve. « Aucun Apache ne serait autorisé à quitter la réserve sans un laissez-passer délivré par l’agent, dit-il, et en aucun cas une autorisation ne serait accordée pour traverser la frontière avec le Nouveau-Mexique. »
Cochise répondit d’une voix calme accompagnée de quelques rares gestes : « Le soleil a frappé très fort sur ma tête et j’étais comme enflammé ; mon sang était en feu, mais maintenant que je suis venu dans cette vallée et que j’ai bu cette eau et m’y suis lavé, elle m’a rafraîchi. À présent que mon feu s’est apaisé, je viens à toi les mains ouvertes pour vivre en paix avec toi. Je parle avec franchise et ne souhaite surtout pas tromper ou être trompé. Je veux une paix bonne, solide et durable. Quand Dieu a fait le monde, il en a donné une partie aux Blancs et l’autre aux Apaches. Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Pourquoi Blancs et Apaches se sont-ils retrouvés sur la même terre ? En m’écoutant, le soleil, la lune, la terre, l’air, les cours d’eaux, les oiseaux et les animaux sauvages, et jusqu’aux enfants qui ne sont pas encore nés vont se réjouir de mes paroles. Les Blancs me cherchent depuis longtemps. Me voici ! Que veulent-ils ? Ils me cherchent depuis longtemps. Pourquoi ai-je tant de valeur ? Si j’ai tant de valeur, pourquoi ne pas marquer l’endroit où je pose mon pied, celui où je crache ? Les coyotes sortent la nuit pour voler et tuer ; je ne peux pas les voir ; je ne suis pas Dieu. Je ne suis plus le chef de tous les Apaches. Je ne suis plus riche ; je ne suis qu’un homme pauvre. Le monde n’était pas toujours ainsi. Dieu ne nous a pas faits semblables à vous ; nous sommes nés comme les animaux, dans l’herbe sèche, et non dans des lits comme vous. C’est pourquoi, comme les animaux, nous volons et chapardons la nuit venue. Si j’avais les choses que tu as, je ne ferais pas ce que je fais, car dans ce cas, je n’en aurais pas besoin. Il y a des Indiens qui passent leur temps à tuer et à voler. Je ne suis pas leur chef. Si je l’étais, ils n’agiraient pas comme ils le font. Mes guerriers ont été tués à Sonora. Je suis venu parce que Dieu me l’a dit. Il a dit qu’il était bon de vivre en paix – me voici donc ! J’errais de par le monde, avec les nuages et l’air, quand Dieu m’a parlé en pensée et m’a dit de venir faire la paix avec tous. Il a dit que le monde était pour nous tous ; comme est-ce possible ?
« Jeune, je parcourais ce pays à pied, d’est en ouest, sans rencontrer personne d’autre que des Apaches. Bien des étés plus tard, j’ai repris le même chemin et vu qu’une autre race d’hommes était venue s’emparer de cette terre. Comment cela est-ce possible ? Pourquoi faut-il que les Apaches attendent la mort – qu’ils ne retiennent la vie que du bout des ongles ? Ils errent dans les collines et les plaines en priant que le ciel leur tombe dessus. Les Apaches formaient autrefois une grande nation ; ils ne sont plus à présent qu’une poignée, et c’est pour cette raison qu’ils veulent mourir et que leur vie pend au bout de leurs ongles. Beaucoup sont morts au combat. Parle-moi franchement, pour que tes paroles entrent dans nos cœurs comme les rayons du soleil. Dis-moi, si la vierge Marie a traversé le pays tout entier, pourquoi n’est-elle jamais entrée dans les huttes des Apaches, pourquoi ne l’avons-nous jamais vue, jamais entendue ?
« Je n’ai ni père, ni mère. Je suis seul au monde. Personne ne se soucie de Cochise ; c’est pourquoi je ne me soucie pas de vivre, c’est pourquoi je voudrais que les pierres tombent sur moi et recouvrent mon corps. Si j’avais un père et une mère comme toi, je serais avec eux, et eux avec moi. Quand je parcourais le monde, tous demandaient à voir Cochise. Le voici – tu le vois, tu l’entends – es-tu heureux ? Si tel est le cas, dis-le. Parlez, Américains et Mexicains, je ne souhaite rien vous cacher, et je voudrais que vous ne me cachiez
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