Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
certains Apaches en conclurent qu’il allait de nouveau prendre le sentier de la guerre pour venger les victimes du massacre.
« Mes femmes et mes enfants ont été tués sous mes yeux, raconta l’un des hommes à Whitman, et j’ai été incapable de les défendre. À ma place, la plupart des Indiens se trancheraient la gorge. » Le lieutenant donna sa parole d’honneur qu’il n’aurait de cesse d’obtenir justice pour les Indiens, et les Aravaipas acceptèrent malgré leur chagrin de reconstruire le village et de reprendre leurs activités.
À force de persévérance, Whitman obtint que les tueurs de Tucson soient jugés. Leurs avocats affirmèrent qu’en suivant la piste de tueurs apaches, ils étaient tombés sur le village ara-vaipa, tandis qu’Oscar Hutton, le guide de Camp Grant, déclarait en tant que témoin à charge : « J’atteste en pleine connaissance de cause qu’aucun groupe de raiders n’a été constitué par les Indiens vivant près du fort. » F. L. Austin et Miles L. Wood, tous deux négociants, et William Kness, qui transportait le courrier entre Camp Grant et Tucson, abondèrent dans son sens. Le procès dura cinq jours. À l’issue d’une délibération de dix-neuf minutes, le jury rendit son verdict – les tueurs de Tucson étaient relâchés.
Quant au lieutenant Whitman, le fait d’avoir défendu les Apaches lui coûta sa carrière. Il passa trois fois en cour martiale pour répondre de chefs d’accusation ridicules, et au bout de plusieurs années sans promotion, il démissionna.
Mais le massacre de Camp Grant eut au moins le mérite d’attirer l’attention de Washington sur le sort des Apaches. Le président Grant qualifia l’attaque de « meurtre pur et simple » et ordonna à l’armée et au Bureau des Affaires indiennes de prendre de toute urgence des mesures afin de ramener la paix dans le Sud-Ouest.
En juin 1871, le général George Crook arriva à Tucson pour prendre le commandement en Arizona. Quelques semaines plus tard, Vincent Colyer, un envoyé spécial du Bureau des Affaires indiennes, débarqua à Camp Grant. Les deux hommes désiraient vivement organiser une réunion avec les grands chefs apaches, surtout Cochise.
Colyer rencontra tout d’abord Eskiminzin, descendu pour l’occasion de ses montagnes, dans l’espoir de le persuader de renouer avec ses coutumes paisibles. Le chef se déclara heureux de s’entretenir de paix avec lui. « Le commissaire pensait certainement qu’il aurait affaire à un grand capitán , déclara-il tranquillement. S’il m’avait vu il y a environ trois mois, cela aurait en effet été le cas. À cette époque, mon peuple était puissant, mais les miens ont été pour beaucoup massacrés. Maintenant, ils sont très peu nombreux. J’ai quitté cet endroit maudit, mais depuis je suis resté dans les parages. Même si j’étais sûr d’avoir des amis ici, j’avais peur de revenir. Moi qui n’ai jamais eu grand-chose à dire, je peux affirmer que j’aime cet endroit. Je ne me sens pas en droit de parler davantage, étant donné que je représente si peu de personnes. Sans ce massacre, il y aurait eu beaucoup plus d’indiens ici ; mais après, qui aurait pu supporter cet endroit ? Quand j’ai conclu la paix avec le lieutenant Whitman, mon cœur était gonflé de bonheur. Les habitants de Tucson et de San Xavier doivent être fous. Ils ont agi comme s’ils n’avaient ni cœur ni cervelle (…). Il fallait vraiment qu’ils aient soif de notre sang (…). Ces gens de Tucson écrivent dans les journaux leur version de l’histoire. Les Apaches n’ont personne pour raconter la leur. »
Colyer promit de raconter l’histoire des Apaches au Grand Père et aux Blancs qui ne l’avaient jamais entendue.
« Je me demande si c’est Dieu qui t’a doté de ce cœur généreux qui te dicte de venir nous voir, ou un père et une mère d’une grande bonté.
— C’est Dieu, répondit Colyer.
— Dieu », fit Eskiminzin, sans que la traduction permette de savoir s’il s’agissait là d’une assertion ou d’une question.
Colyer prévoyait de rencontrer Delshay, le chef de la tribu des Apaches Tontos, un homme d’environ trente-cinq ans, massif et large d’épaules. Il portait une boucle d’oreille en argent, avait l’air féroce et se déplaçait souvent au petit trot comme s’il était tout le temps pressé. Dès 1868, il avait accepté de faire respecter la paix par son peuple et de
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