Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
grâce à une guerre indienne. Ces braves citoyens avaient constitué un comité de sécurité publique pour se protéger des Apaches, mais rares étaient les Indiens qui s’approchaient de la ville, si bien que le comité partait souvent à cheval les poursuivre dans les environs. Après les deux raids du mois d’avril, des membres du comité annoncèrent que les coupables venaient du village aravaipa installé près de Camp Grant. Bien que celui-ci se situe à quatre-vingt-dix kilomètres de là, ce qui réduisait la probabilité que les Aravaipas aient parcouru cette distance pour faire un raid, l’annonce fut prise au sérieux par les citoyens de Tucson. De manière générale, ils étaient opposés à l’idée que des agences fassent travailler des Apaches et leur permettent de gagner leur vie paisiblement ; il y avait là en effet de quoi réduire le besoin de forces militaires et porter un coup à une certaine prospérité liée à la guerre.
Au cours des dernières semaines d’avril, un vétéran des guerres indiennes du nom de William S. Oury mit sur pied une expédition pour attaquer les Aravaipas désarmés de Camp Grant. Six Américains et quarante-deux Mexicains acceptèrent d’y participer, mais Oury jugea ce nombre insuffisant pour assurer le succès de son entreprise. Il recruta donc quatre-vingt-douze mercenaires chez les Papagos, des Indiens qui avaient été soumis et convertis au christianisme par les Espagnols. C’est ainsi que le 28 avril, un groupe impressionnant de cent quarante hommes bien armés se tint prêt à l’attaque.
Le 30 à 7 h 30 du matin, un cavalier remit au lieutenant Whitman un message envoyé par la petite garnison de Tucson l’avertissant qu’un groupe important avait quitté la ville le 28 avec pour but avoué de tuer les Indiens de Camp Grant.
« J’ai immédiatement dit à mes deux interprètes de rejoindre le campement indien à cheval, raconta Whitman plus tard, avec ordre d’expliquer aux chefs la situation précise et d’amener toute leur bande à l’intérieur du fort (…). Mes messagers sont revenus une heure plus tard. Ils n’avaient pas trouvé un seul Indien vivant. »
Moins de trois heures avant que Whitman ne soit averti, l’expédition de Tucson s’était déployée le long des berges escarpées de la petite rivière et des sablières situées près du village aravaipa. Les hommes qui étaient en bas ouvrirent le feu sur les huttes de branchages, et au moment où les Apaches en sortaient, ils furent fauchés par des rafales de tir provenant des hauteurs. En une demi-heure, les Indiens avaient fui, été capturés ou tués. Les prisonniers, vingt-sept au total et tous des enfants, devaient être vendus comme esclaves au Mexique par les Papagos christianisés.
Lorsque Whitman arriva au village, celui-ci brûlait toujours. Le sol était jonché de corps de femmes et d’enfants morts et mutilés. « J’ai trouvé un nombre important de femmes abattues pendant leur sommeil à côté des bottes de foin qu’elles avaient ramassées et comptaient nous amener le matin. Les blessés hors d’état de s’échapper avaient été frappés à la tête avec des gourdins ou des pierres, parfois blessés par balle, puis criblés de flèches. Les corps étaient tous dénudés. »
C. B. Briesly, un médecin qui accompagnait le lieutenant Whitman, raconta que deux des femmes « reposaient dans une position telle que, vu en outre leurs blessures et l’état de leurs organes génitaux, il ne faisait aucun doute qu’elles avaient été violentées avant d’être abattues (…). Il y avait un enfant de dix mois qui avait reçu deux balles et dont la jambe était à moitié coupée ».
Whitman redoutait que les survivants qui s’étaient enfuis dans les montagnes lui reprochent de ne pas les avoir protégés. « Je me suis dit que le fait de prendre soin de leurs morts serait une preuve de notre compassion, ce qui s’est avéré correct, car pendant que nous nous occupions des corps, plusieurs Indiens s’approchèrent de nous et exprimèrent un chagrin trop violent pour être décrit (…). Parmi tous ceux que nous avons enterrés [une centaine environ] il y avait un vieil homme et un garçon – les autres étaient tous des femmes et des enfants. » Avec ceux qui succombèrent à leurs blessures et la découverte d’autres corps, le nombre total des victimes s’élevait finalement à cent quarante-quatre. Eskiminzin ne revenant pas,
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