Essais sceptiques
principal de ces services est de servir d’écran derrière lequel d’autres peuvent tranquillement poursuivre leur activité. Un homme vertueux ne soupçonnera jamais ses amis d’agir à l’ombre : cela fait partie de sa vertu. Le public ne soupçonnera jamais un homme « vertueux » de se servir de sa vertu pour protéger des coquins : cela fait partie de son utilité. Il est clair que cette combinaison de qualités rend un homme vertueux extrêmement désirable partout où des gens aux idées un peu étroites s’opposent à la gestion des fonds publics par les riches pleins de mérites. On me dit (bien que je sois loin de souscrire à cette affirmation) qu’il n’y a pas très longtemps il exista un président américain qui était un homme vertueux et qui fut utilisé dans ce but. En Angleterre, Whittaker Wright, à l’apogée de sa gloire, s’entoura de pairs irréprochables dont la vertu les empêcha de comprendre son arithmétique ou de savoir qu’ils ne la comprenaient pas.
Les hommes vertueux rendent encore un autre service : grâce à eux on peut exclure les indésirables de la politique par le moyen des scandales. Quatre-vingt-dix-neuf sur cent hommes font des infractions à la loi morale, mais d’habitude ces faits ne deviennent pas publics. Et quand le quatre-vingt-dix-neuvième individu commet un tel fait et qu’il est divulgué, le seul homme sur les cent qui est réellement innocent exprime une horreur réelle, tandis que les autres quatre-vingt-dix-huit sont contraints à le suivre, de peur d’être soupçonnés. C’est pourquoi, quand un homme aux idées blâmables s’aventure dans la politique, il suffit que ceux qui ont à cœur la sauvegarde de nos anciennes institutions suivent la trace de sa vie privée jusqu’à découvrir quelque chose qui, divulgué, ruinera sa carrière politique. Alors, trois chemins s’ouvrent devant eux : de divulguer les faits et de l’obliger de disparaître dans un nuage de honte ; ou de le forcer à se retirer dans la vie privée par des menaces de divulgation ; ou de se créer un revenu facile par le chantage. De ces trois chemins, les deux premiers protègent le public, tandis que le troisième protège ceux qui protègent le public. C’est pourquoi, il faut les recommander tous les trois, qui ne sont possibles que grâce à l’existence des hommes vertueux.
Examinons encore, par exemple, la question des maladies vénériennes ; on sait qu’on peut presque entièrement les prévenir par des précautions prises à temps, mais grâce à l’activité des hommes vertueux cette science est répandue aussi peu que possible et on met toutes sortes d’obstacles à l’utiliser. Par conséquent, le péché est encore suivi de son châtiment « naturel » et les enfants sont toujours châtiés pour les fautes de leurs parents, selon le précepte de la Bible. Qu’il serait épouvantable si les choses se passaient autrement ! Car si le péché n’était plus puni, il pourrait y avoir des gens qui prétendraient qu’il n’est plus un péché ; et si le châtiment ne tombait pas aussi sur les innocents, il ne semblerait plus aussi épouvantable. Que nous devons donc être reconnaissants à ces hommes de bien qui aident les sévères lois de rétribution décrétées par la Nature aux jours de notre ignorance, à fonctionner encore maintenant, malgré la science impie acquise rapidement par les savants. Tous les hommes bien-pensants savent qu’une mauvaise action est mauvaise indépendamment de la question de savoir si elle cause une souffrance ou non, mais comme les hommes ne sont pas tous capables d’être guidés par la pure loi morale, il est hautement désirable que la souffrance suive le péché afin de sauvegarder la vertu. Il faut tenir les hommes dans l’ignorance de tous les moyens d’échapper aux peines qu’on souffrait à cause des actions considérées comme des péchés à un âge préhistorique. Je frissonne quand je pense quelle serait l’étendue de nos connaissances concernant la préservation de notre santé physique et mentale si les hommes de bien ne nous protégeaient pas si aimablement contre cette dangereuse science.
Les hommes de bien peuvent encore rendre des services en se faisant assassiner. L’Allemagne acquit la province de Shantung grâce à la bonne fortune d’avoir deux missionnaires assassinés dans ce pays. L’Archiduc tué à Sarajevo fut, je crois, un homme de bien ; et que nous devons
Weitere Kostenlose Bücher