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Essais sceptiques

Essais sceptiques

Titel: Essais sceptiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Russell
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À cette période, il fut un homme « vicieux ». Plus tard, il devint un homme de « bien », abandonna sa fille, adopta des principes « comme il faut » et écrivit de mauvais poèmes. Coleridge subit une transformation analogue : quand il était « vicieux », il écrivit
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, et quand il devint « bon » il composa des œuvres théologiques.
    Il est difficile de trouver un exemple d’un poète qui écrivit de bons poèmes à l’époque où il fut homme de « bien ». Dante fut déporté pour propagande subversive ; Shakespeare, à en juger par les Sonnets, se serait vu refuser, par les fonctionnaires de l’immigration, la permission de débarquer à New York. Il est de la nature d’un homme de « bien » de soutenir le gouvernement ; c’est pourquoi, Milton en fut un sous le règne de Cromwell, et n’en fut pas avant et après ; mais c’est avant et après qu’il écrivit ses vers, et en fait, il composa la plupart de ses œuvres après avoir failli être pendu comme Bolchévik. Donne devint vertueux quand il fut nommé doyen de la cathédrale de Saint-Paul, mais il écrivit tous ses poèmes avant cette époque et c’est à cause d’eux que sa nomination causa un scandale. Swinburne fut « vicieux » dans sa jeunesse, à l’époque où il écrivit ses
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en l’honneur de ceux qui se battaient pour la liberté ; il fut vertueux dans sa vieillesse quand il composa ses sauvages attaques contre les Boers qui défendaient leur liberté contre une agression brutale. Il est inutile de multiplier ces exemples ; ce qui a été dit suffit pour faire penser que l’idéal de la vertu actuellement de mise n’est pas compatible avec la production de la bonne poésie.
    La même chose s’applique à d’autres domaines. Nous savons tous que Galilée et Darwin furent des hommes « vicieux » ; on considérait Spinoza comme terriblement « vicieux » plus de cent ans après sa mort ; Descartes s’exila de peur d’être persécuté. Presque tous les artistes de la Renaissance furent des hommes « vicieux ». Pour aborder un sujet plus humble : ceux qui s’opposent à une mortalité évitable sont nécessairement vicieux. J’ai vécu dans un quartier de Londres dont une partie est très riche et une autre, très pauvre ; la mortalité infantile y est anormalement élevée et les riches, par les moyens de la corruption et de l’intimidation, contrôlent l’administration locale. Ils se servent de leur pouvoir pour diminuer les dépenses consacrées au bien-être des enfants et à l’hygiène publique et pour employer un médecin qui est payé au-dessous du taux habituel et ne travaille que la moitié du temps. Personne ne peut gagner le respect des personnages importants de ce quartier s’il n’estime pas que de bons dîners pour les riches sont plus importants que la vie des enfants des pauvres. On trouve des choses analogues dans toutes les parties du monde que je connais. Cela fait penser que nous pouvons simplifier notre description d’un homme de « bien » : un homme de bien est quelqu’un dont les idées et l’activité plaisent aux tenants du pouvoir.
    Il nous a été douloureux de nous occuper des hommes vicieux qui, dans le passé, ont accompli de grandes choses. Revenons à la contemplation plus agréable des vertueux.
    George III fut un homme typiquement vertueux. Quand Pitt lui demanda d’émanciper les catholiques (qui, à cette époque, n’avaient pas le droit de vote), il refusa pour la raison que cela serait contraire à son serment de couronnement. Il refusa avec droiture d’être induit à une mauvaise action par l’argument que cela serait une bonne chose de les émanciper ; il ne s’agissait pas pour lui de savoir si cela serait une bonne chose, mais si cela serait « juste » abstraitement. C’est son intervention dans la politique qui est grandement responsable du régime qui poussa l’Amérique à réclamer l’indépendance ; mais son intervention était toujours dictée par les motifs les plus sublimes. On peut dire la même chose de l’ex-kaiser, homme profondément religieux et sincèrement convaincu, jusqu’à sa chute, que Dieu était de son côté ; autant que je sache, il fut entièrement dépourvu de vices personnels. Mais il serait difficile de nommer un autre homme de notre époque qui ait causé plus de misère humaine.
    Les hommes vertueux rendent de grands services aux politiciens ; le

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