Et Dieu donnera la victoire
leur contact un bain d’Évangile.
Lorsqu’elle apprit la défection du dauphin, elle voulut en avoir le coeur net. Ce prétexte que l’on invoquait de la crainte d’une mesure de rétorsion du connétable lui paraissait suspect. Elle se rendit à Sully ; le dauphin en était parti quelques jours avant pour Châteauneuf. Elle s’y rendit et s’entendit répondre qu’il devait se trouver à Saint-Benoît-sur-Loire.
C’est là qu’enfin elle le dénicha, au retour d’une partie de chasse. Il ne parut pas autrement surpris de la voir ; elle le trouva un peu crispé, comme un enfant pris en faute. Il bredouilla :
– Heureux de te revoir, Jeanne. As-tu fait bon voyage ? Avais-tu une escorte suffisante ?
Elle ne daigna pas répondre à ces banalités et prit le parti de jouer les naïves.
– Monseigneur, dit-elle, je viens vous annoncer une grande nouvelle : nous avons défait les Anglais près de Patay.
Il parut hésiter entre rire et colère.
– J’étais au courant dès le lendemain de la bataille et j’en ai aussitôt informé mes bonnes villes.
– J’en suis fort aise, mais il semble qu’on ait omis de vous transmettre l’invitation d’Orléans à fêter avec elle cette victoire.
Il répondit d’un ton abrupt :
– J’en étais informé, Jeanne. La prudence m’a commandé de m’abstenir.
– La prudence, monseigneur ? Que pouviez-vous bien redouter ? Il n’y a plus un Anglais vivant sur la Loire.
– Ce n’est pas les Anglais que je crains. Fine comme tu l’es, tu as deviné de qui je voulais parler.
– Si c’est du connétable, rassurez-vous. Nous avons chevauché botte à botte durant des jours sans qu’il eût le moindre mot contre vous. Qu’il ait à demander des comptes à votre grand chambellan, c’est une autre affaire.
– Menacer mes ministres, c’est me menacer moi-même.
Jeanne serra les poings et s’apprêtait à la riposte quand Charles ajouta :
– Tu as beaucoup payé de ta personne au cours de cette campagne. Le moment est venu de te reposer. Tu l’as mérité.
Elle éclata :
– Me reposer, monseigneur ? Plaisantez-vous ? Avez-vous oublié que je dois vous faire sacrer à Reims et bouter les Anglais hors de France ? Mes Conseils ne cessent de me le répéter !
Comment aurait-il pu oublier ? Il soupira :
– Rien ne presse, Jeanne. À chaque jour suffit sa peine.
Fatigué par sa partie de chasse, il prit congé d’elle pour se retirer dans les appartements que l’abbé avait mis à sa disposition et à celle de la suite delphinale.
Décontenancée par cette attitude méprisante, mortifiée par cette indifférence, Jeanne, allongée sur le bat-flanc de sa cellule, pleura et pria. Plus que jamais le jouet de son ministre, Charles se désintéressait de sa mission et avait prévu de renoncer à ses services. Elle se souvenait de ce que Gilles lui avait confié alors qu’ils chevauchaient dans la fournaise de la Beauce : la cour, à commencer par La Trémoille, commençait à la trouver encombrante. Elle ne rêvait que de se battre et le dauphin de jouir d’une quiétude que protégeait sa garde écossaise.
« J’ignore, avait ajouté Gilles, si Charles a l’intention de vous renvoyer à vos moutons. Je suis plutôt porté à croire qu’il souhaite vous tenir à l’écart, faire de vous une sorte de palladium, un symbole de la résistance aux Anglais, un porte-bonheur... »
Décidée à revenir à la charge, elle s’arma de volonté et de courage pour un nouvel affrontement. Son insomnie au cours de la nuit passée lui avait permis d’amasser des arguments.
À son lever, elle trouva l’abbaye singulièrement calme. Profitant de l’ultime fraîcheur de la nuit, des moines travaillaient à la binette dans les parterres. Dans le sanctuaire, un choeur entonnait un cantique lent et poignant. Des tas de crottin maculaient le sol de la cour. Jeanne trouva l’abbé aux cuisines, en train de donner des ordres aux cuisiniers.
– Si vous cherchez monseigneur le dauphin, dit-il, je suis au regret de vous dire qu’il est parti il y a une heure à peine.
– Parti ? Vous a-t-il dit où il se rendait ?
– Nullement.
– Doit-il revenir ?
– Je l’ignore.
Il ajouta, d’un ton acerbe :
– Vous n’avez plus rien à faire ici. Votre cheval vous attend à l’écurie et votre escorte dans le pré.
Elle se souvint brusquement de son rêve de la nuit qu’elle avait partagée avec Charlotte. Elle cheminait sur une route étroite, dans
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