Et Dieu donnera la victoire
d’intensifier la guerre pour en finir au plus tôt avec l’envahisseur.
Richemont eut un mince sourire.
– Si tu crois, dit-il, que les gens qui se sont battus derrière ta bannière souhaitent en finir au plus vite, c’est que tu n’as pas percé leur état d’esprit. La guerre est leur vie. Qu’il s’agisse de d’Alençon, de De Rais, des chefs de bande qui sont devenus tes capitaines, aucun ne souhaite que la paix les renvoie à leur insignifiance. Ils souhaitent au contraire faire durer le plaisir.
L’animation colorait le visage sombre et ascétique du connétable, faisait ressortir en clair la balafre d’Azincourt, donnait à son regard de rapace cet éclat qui fascinait Jeanne.
– Tout autre que moi, dit-elle, serait sensible à vos arguments, mais je suis Jeanne la Pucelle et aucun obstacle ne pourrait m’arrêter. Tous, et vous-même peut-être, souhaitent me voir revenir à Domrémy. Je ne vous donnerai pas cette satisfaction. Abandonner la lutte serait une trahison, une désertion. Je tiens ma mission de Dieu, je vous le rappelle, et, lorsque Dieu parle, les hommes doivent se taire...
La confession du connétable tantôt lui donnait envie de rire et tantôt la plongeait dans un abîme de perplexité. Entrer dans la vie de ce personnage hideux et trouble par la porte de sa chambre, devenir, comme il l’avait dit, sa « compagne », lui apparaissait comme une idée insensée : son épouse, Marguerite de Guyenne, l’attendait en filant la laine. D’autre part, vivre dans le voisinage de ces hobereaux bretons aux moeurs brutales, qui parlaient une langue barbare, ne la tentait guère. Elle s’étonnait que Richemont, qui passait pour un esprit rassis, ait pu mûrir de tels projets.
Ce n’était pas la première fois qu’elle était hantée par la crainte de se voir exposée à des tentatives contre sa pudeur. Richemont prenait la suite de deux autres prétendants, plus discrets mais non moins redoutables : Jean d’Alençon et Gilles de Rais. D’autres encore, peut-être, comme l’archer Richard qui avait tenté des approches vaines. Une fille comme elle ne pouvait vivre, nuit et jour, dans la compagnie de soudards, sans éveiller des élans de lubricité. Elle veillait à ce que les sentiments d’amitié qu’elle leur témoignait ne fussent pas interprétés comme un assentiment à leur désir. Pourtant, soit maladresse de sa part, soit conviction de la leur d’être encouragés, certains s’étaient laissés aller à des gestes ou à des propos qu’elle s’était fait un devoir de repousser.
Jean d’Alençon avait été le premier à tenter de séduire cette innocente bergerette , comme il disait. Un jour, dans une prairie de Chinon, alors qu’il lui apprenait à tenir correctement les rênes et se pressait contre elle, il l’avait embrassée dans le cou ; elle s’était retournée pour le gifler et il n’avait pas recommencé, ce grand imbécile , comme disait Madame Yolande de son gendre.
Elle n’avait rien à reprocher à Gilles de Rais, pas la moindre équivoque dans ses propos et son comportement : il observait toujours en sa présence une attitude distante et froide, persistait à la vouvoyer. Et pourtant... Avec la finesse de jugement qui la caractérisait, elle avait deviné que ce bardache la désirait : elle le devinait à ses regards appuyés, à sa présence insistante, hors nécessité, à des non-dits éloquents. Et elle devait s’avouer que la beauté du jeune seigneur vendéen, le mystère dont il s’entourait la troublaient.
D’Alençon lui avait dit, un jour qu’il chevauchait près d’elle :
– Jeanne, es-tu consciente des sentiments que tu inspires à mon ami Gilles ? Il est amoureux de toi. Ce qui l’attire, c’est les allures de soldat que tu te donnes. Si tu étais habillée en femme, je crois qu’il ne te regarderait même pas... Tu ne risques rien avec lui, du moins si tu restes sur tes gardes. Gilles est un grand timide et un fin stratège. Il cherche à t’investir, à trouver le défaut de la cuirasse. La moindre faiblesse de ta part pourrait être prise par lui comme un encouragement. Il se considérerait comme admis à faire ton siège...
Jeanne avait éclaté de rire :
– ... et il trouverait à qui parler !
9
La route du Sacre
Gien, Auxerre, Troyes, juin-juillet 1429
Lorsque Jeanne tente d’imaginer Reims et le chemin qui conduit à cette sorte de Jérusalem, les images se brouillent. Les références que lui
Weitere Kostenlose Bücher