Et Dieu donnera la victoire
proposent d’autres cités : Chinon, Loches, Orléans, ne suscitent que de vagues échos où se complaît son imagination. Elle voit la ville du sacre émerger d’une lumière de paradis, hérissée de clochers et de tours comme les illustrations que le petit moine de Neufchâteau lui a laissé feuilleter dans sa librairie. Elle a tenté d’en apprendre davantage par Madame Yolande qu’elle a retrouvée à Orléans après la journée de Patay. La reine de Sicile a eu tôt fait de lui ôter ses illusions.
– Vous risquez d’être déçue, mon enfant. Reims est une ville importante et riche, mais ni plus ni moins qu’Orléans ou Nancy. Il est vrai que ses bourgeois vivent dans l’opulence. S’ils tolèrent la présence des Anglais et des Bourguignons, c’est par intérêt plus que par conviction. Ces dispositions sont favorables à nos projets. Ils ouvriront leurs portes sans faire trop de façons, d’autant que mon gendre d’Alençon a des intelligences parmi eux.
– C’est la ville du sacre, madame.
– Certes, mais plusieurs souverains ont choisi d’autres villes pour cette cérémonie. Certains se sont fait sacrer à Orléans, comme Hugues Capet, Robert le Sage, Louis le Gros, le beau-père de la reine Aliénor. Je vous raconterai, plus tard...
Effacées les images lumineuses : toitures en feuilles d’or, tourbillons d’anges et de colombes autour de la cathédrale, remparts dignes de Jéricho...
– Il en va de même, a ajouté Madame Yolande, des villes dont vous devrez vous emparer au cours de cette campagne, et notamment Auxerre, Troyes, Châlons. Vous trouverez de la résistance, car ces gens tiennent pour Philippe le Bon. Il vous faudra beaucoup de diplomatie pour n’avoir pas à les prendre d’assaut, et je crois savoir, hélas ! que la diplomatie n’est pas votre affaire...
– Mes Conseils m’inspireront. Ils ne m’ont jamais trompée ni déçue. Cent lieues de chevauchée en pays rebelle, c’est long et dangereux, mais, par Dieu, je vous le dis : l’été ne se terminera pas que je n’aie fait entrer le dauphin dans la cathédrale.
Le dauphin était au pied du mur.
À quelques jours de la dernière visite de Jeanne à Saint-Benoît, il avait reçu une ambassade des bourgeois de Reims disposés à le recevoir, mais il fallait se hâter, car le régent n’allait pas tarder à y conduire le jeune prince d’Angleterre et ils ne pourraient lui fermer leurs portes, d’autant, avaient-ils ajouté, que la cour d’Angleterre s’apprêtait à faire débarquer de nouvelles troupes à Calais...
Les conseillers du dauphin étaient unanimes : on avait eu tort, après Orléans, de licencier le gros de l’armée au lieu de la lancer sur les traces de Talbot, vers la Normandie et Paris. On allait rassembler à Gien les corps de troupes épars, affecter à leur commandement le duc d’Alençon et confier la responsabilité générale de l’opération à qui ? mais à La Trémoille, dont chacun connaissait les liens avec le Bourguignon !
Charles, à contrecoeur, fit ravauder ses vêtements de voyage et de parade, graisser ses houseaux, en souhaitant que lui fussent épargnées les mauvaises fortunes de la guerre. Marie et leur fils Louis, qui allait avoir onze ans, auraient aimé le suivre dans cette randonnée guerrière : il les renvoya à Bourges. Il tenait à être seul pour cette longue randonnée et pour la cérémonie de Reims. Il envisagerait plus tard de faire sacrer et couronner son épouse.
En arrivant à Gien, il dut en convenir : c’était une belle et grande armée.
Dix à douze mille hommes campaient dans la ville et aux alentours, sur les prairies bordant la Loire. Transformée en caravansérail, Gien retentissait de chants de guerre, de défis que se lançaient Gascons, Poitevins, Bretons, Écossais, ce qui s’achevait souvent par des rixes. On se moquait du couvre-feu, si bien que les bourgeois devaient éviter, passé l’heure, de mettre le nez dehors. De lourdes odeurs venaient des auberges et des places où l’on faisait griller des quartiers de boeuf et de porc au son des cornemuses et des chalemelles qui faisaient baller les garces. Le dauphin avait promis qu’on ne manquerait pas de vin : il coulait comme l’eau d’une fontaine.
Dans l’attente des derniers éléments, Jeanne abandonna cette Babylone à ses débauches pour se retirer dans le camp de Gilles de Rais où il était parvenu à imposer la discipline et le couvre-feu.
Jeanne
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