Et Dieu donnera la victoire
son cheval au sommet d’une butte d’où elle pouvait apercevoir, frasillant dans le vent chaud, les bannières aux léopards dominant une masse impressionnante de cavaliers et de piétaille figés comme dans l’attente d’un ordre de départ.
– Ils sont plusieurs milliers, constata Gilles, mais nous leur sommes supérieurs en nombre. Allons-nous fondre sur eux ou attendre qu’ils se dérobent ? Janville n’est pas loin. S’ils parviennent à s’y retrouver et à s’y fortifier, nous risquons de tirer longtemps la langue sous les remparts.
Jeanne descendit de cheval, alla s’abriter sous un chêne qui faisait un peu d’ombre et demanda à un éclaireur ce qu’était cette rangée de buissons derrière laquelle l’ennemi commençait à s’agiter.
– On dirait le lit d’une rivière, dit-il, mais ce n’est qu’un ravin que les habitants appellent la Retrève.
Il lui montra, à environ une demi-lieue, au milieu d’une vaste plaine bocagère, le clocher de Lignerolles et plus loin Patay et Coinces. Jeanne revint vers Gilles qui venait d’être rejoint par une compagnie conduite par Jean, frère de la Pucelle, et le seigneur de Termes.
– Il faut frapper vite et fort, dit-elle, et que l’affaire soit réglée à la tombée de la nuit. Nous allons avoir besoin de bons éperons !
– Qu’entendez-vous par là ? demanda Gilles. Pensez-vous qu’il nous faudra prendre la fuite, comme à Rouvray, le jour des Harengs ?
Elle éclata de rire, ajouta :
– Je veux dire que les Godons prendront la fuite et qu’il faudra les rattraper. Nous allons leur donner la chasse et, fussent-ils accrochés aux nuages, ils seront à nous !
Lorsque l’avant-garde eut rejoint le corps de bataille de d’Alençon, Jeanne déclara qu’elle allait entraîner la première vague d’assaut.
– Non, dit Gilles, vous resterez à l’écart. L’affaire risque d’être chaude et nous ne voulons pas vous perdre. Nous avons pris cette décision d’un commun accord, pour votre sécurité. Vous resterez sur nos arrières avec les Bretons du connétable.
Elle protesta, fulmina, rappela qu’elle s’était déjà battue, que personne ne pouvait l’obliger à rester inactive, que sa mission...
– Ta mission, dit d’Alençon, sera aujourd’hui de prier pendant que nous nous battrons, pour que nous obtenions la victoire.
– Ce sera inutile, car les jeux sont faits : l’armée anglaise est perdue...
Talbot immobilisa son armée et disposa son avant-garde à l’orée d’une futaie profonde, avec quelques chariots destinés à dissimuler les pièces d’artillerie. Ainsi il y aurait moins de risques d’être pris à revers, d’autant qu’un corps de yeomen tenait les bords de la Retrève, cachés derrière des buissons. Il leur ordonna de planter en retrait les pieux qui arrêteraient la cavalerie. Soudain sa voix resta bloquée dans sa gorge, couverte par un grondement sourd montant à une portée de flèche de la terre martelée par des galops de chevaux. Ses archers n’eurent pas le temps de tailler du bois : un groupe d’une soixantaine de cavaliers fonçait sur eux, Xaintrailles et La Hire à leur tête, donnant de la voix. La tornade balaya l’élite de l’archerie anglaise et fit une hécatombe de ceux qui prenaient en désordre la direction de Lignerolles.
Falstaff venait de regrouper son corps de bataille pour rejoindre l’avant-garde quand il constata que des cavaliers français en vagues furieuses harcelaient ses arrières. Il fit effectuer un demi-tour à ses hommes pour faire face aux attaquants.
– Goddam ! rugit-il. Que fait donc sir John ? Voilà qu’il prend la fuite au lieu de nous assister !
Il appela ses seconds : Scales, Hungerford, Spencer, Guerard, leur demandant de retenir leurs hommes qui étaient en train de se débander. Il eut beau tempêter, il se retrouva seul au milieu de la tourmente.
– Ne restez pas là ! lui cria au passage lord Falcombridge. Les Français arrivent !
Lorsque Talbot avait compris que la manoeuvre de Falstaff était de se débarrasser de cette meute qui talonnait ses arrières, il était trop tard pour venir à son secours : les premiers cavaliers de Xaintrailles venaient de se glisser entre les chariots et de clouer à coups d’épée sur les affûts des bombardes les rares artilliers restés sur place. Pour Talbot et ses officiers, il n’y avait d’autre issue que de rendre leur épée ou se faire massacrer. Ils eurent vite fait leur
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