Et Dieu donnera la victoire
ajouta le curé, tu en as trop dit ou pas assez. Tu vas venir t’expliquer et surtout me parler de ces voix.
Il se retourna brusquement et lança aux ouvriers qui, perchés sur leur échafaudage, semblaient s’intéresser à cet entretien :
– Cette affaire ne vous concerne pas ! Continuez à travailler, fainéants !
Elle lui avoua tout : ses premières visions, la nuit d’octobre, près de la fontaine, ses rendez-vous avec ses frères du Paradis, saint Michel notamment, qui lui avait prédit qu’elle ne tarderait guère à quitter sa famille et son village, pour aller se battre. Il était le premier à qui elle en parlait. Il fallait bien qu’elle se libérât d’un secret devenu trop lourd à porter. Elle remercia le vieux prêtre de l’avoir aidée à cette confidence, lui demanda l’absolution, qu’il ne lui accorda que de mauvaise grâce.
– Ego te absolvo ... Jeannette, tu me mets dans un terrible embarras. Je te sais gré de la confiance que tu me témoignes, mais ta confession est bien embarrassante. Tu me reprochais d’être complice de ta famille et tu fais de moi ton complice. As-tu conscience de la peine que tu vas occasionner à tes parents si tu t’obstines dans ta résolution ? Ils t’aiment, l’aurais-tu oublié ?
– Je les aime aussi, mais les anges du ciel m’ont confié une mission à laquelle je ne puis me dérober. Je dois aller me battre contre les Anglais.
– Tu déraisonnes ! Ils riraient bien, les Godons, s’ils trouvaient une pucelle en travers de leur chemin ! Ces voix, ces apparitions, que te dit que ce n’est pas une invention du diable ?
– Si vous n’y croyez pas, c’est que la foi ne vous habite plus.
– Je ne te permets pas...
En sortant de l’église, il lui demanda comment elle allait s’y prendre pour parler à ses parents. Elle répondit qu’elle attendrait de nouvelles consignes.
– De toute manière, poursuivit-elle, ma résolution est prise. Vous me connaissez assez pour savoir que je m’y tiendrai, quoi qu’il m’en coûte.
– Je ne le sais que trop, Jeannette. On a raison de dire que tu es une vraie tête de bois...
Jacques était d’avis de passer outre aux réticences de sa fille, de la jeter, pieds et poings liés si cela était nécessaire, devant son prétendant.
– Je refuse qu’on en vienne là ! dit fermement Zabelle. Jeannette n’est pas prête à se donner à un mari, un point c’est tout. Elle tient encore trop à sa famille, à sa maison, à son village. La brusquer, c’est risquer de la voir nous échapper. En revanche, par la patience, la douceur, la persuasion, nous parviendrons à la convaincre. Je lui parlerai et elle m’écoutera.
– Que fais-tu de l’impatience de maître Thierry ?
– Tu t’es trop avancé. Il fallait le faire lanterner.
– Ce n’est pas dans ma manière. Fais comme tu l’entendras, mais je veux être certain que tout sera réglé avant Pâques.
Monté sur sa mule, l’oncle Laxart arriva à Domrémy gai comme un pinson, le chapeau de guingois, par un jour de beau soleil. Il venait annoncer la nouvelle grossesse de son épouse et demander un service.
– Elle est de faible complexion, dit-il. Je crains que, dans son état, elle ne se fatigue vite à entretenir sa grande maison. Si le travail chez vous ne presse pas trop, vous seriez bien aimables de me prêter Jeannette quelques semaines, le temps que le fruit soit bien accroché.
– Qu’en dis-tu, Zabelle ? demanda Jacques.
Zabelle était d’accord : avec Guillemette et Catherine qui commençait à se rendre utile, elle se débrouillerait. Quant à Jeannette, elle aimait trop son oncle pour lui refuser ce service.
– Eh bien, dit Laxart, nous partirons demain matin ! Ma mule est robuste : elle pourra nous porter tous les deux.
Ils prirent à l’aube la route de Burey sous une averse glacée. Au-delà du mont Julien, des colonnes de pluie lumineuse soutenaient un ciel d’Allemagne couleur de plomb. Le château de l’île dessinait sa silhouette massive sous des flocons de brume quand Jeannette dit à Laxart :
– Mon oncle, il faut que je te parle. Es-tu capable de garder un secret ?
Il lui répondit par un dicton :
– En oreille et en bouche closes n’entre pas mouche.
Ainsi qu’elle l’avait fait avec le curé, elle lui raconta ses relations avec ses frères du Paradis et la mission que saint Michel lui avait confiée. Comme il éclatait de rire, elle lui bourra les côtes à coups de poing.
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