Et Dieu donnera la victoire
soi...
Charles n’émergeait de son marasme que pour sombrer dans des crises de désespoir.
Il apprit avec chagrin que le deuxième enfant de la dauphine, conçu à Angers, venait de mourir âgé de quelques mois.
Peu après une autre nouvelle, plus dramatique encore, le frappait de plein fouet : le régent envoyait ses meilleures troupes faire le siège d’Orléans. On guerroyait déjà dans les parages de Montargis.
Avec cette furia aragonaise qui, de temps à autre, faisait s’effriter le vernis angevin, Madame Yolande s’en prenait à son gendre dont l’apathie heurtait les qualités foncières de la bonne mère, qui pouvaient se résumer en deux mots : rigueur et vigueur. Lorsque le connétable lui avait appris son éviction, suite aux manoeuvres sournoises du Gros Georges, elle s’était écriée dans son langage qui, en ces circonstances, n’était guère châtié :
– Ce pauvre Charles n’est qu’une chiffe molle. Il faudrait que je sois toujours derrière lui pour lui remonter les couilles à coups de pied. Je ne me reprocherai jamais assez de lui avoir donné ma fille. Il faut que je le retrouve, que je lui fasse de nouveau la leçon, que je l’arrache à ses mauvais conseillers, mais où le trouver ? À Chinon, à Meung, à Poitiers ? Sûrement pas à Orléans : il aurait trop peur de se faire enlever par les Anglais. Il change constamment de domicile, comme pour échapper à une meute.
– L’image est juste, madame, dit Richemont. Votre gendre est aux abois. Ma présence à la cour lui assurait une certaine sécurité. S’il m’avait maintenu parmi ses proches, j’aurais pu le rassurer, le conseiller, l’encourager. Hélas ! il est retombé dans ses obsessions, sa terreur, sa léthargie. Et il se laisse tondre par ses favoris, les beaux parleurs !
Charles donnait l’impression de vivre en longeant les murs. S’aventurait-il dans une assemblée, dans la demeure d’un châtelain ou d’un bourgeois, il faisait procéder à l’inspection des poutres et des planchers. Le souvenir de l’effondrement qui avait fait des dizaines de victimes à l’évêché de La Rochelle avait laissé en lui une alluvion d’angoisse ; la nuit, le moindre craquement dans les meubles ou le parquet lui donnait des sueurs froides. La peur de l’attentat et du poison ne le quittait pas, au point qu’il avait fini par se méfier des visiteurs dont il ignorait les motivations : il les observait de derrière une tapisserie et, s’ils lui paraissaient suspects, il les faisait reconduire sans les entendre.
La Trémoille s’était accommodé de ces lubies : il faisait à sa convenance le choix des visiteurs en écartant ceux qui lui étaient contraires ou lui paraissaient peu solvables. Il faisait payer ses faveurs de quelques écus.
– Charles n’a plus aucun pouvoir, ajouta Richemont. La Trémoille a pris les rênes et subjugué votre gendre, madame. Où cela le mènera-t-il ?
Madame Yolande repoussa le tambour de broderie où s’esquissaient les motifs d’un antependium destiné à une église des environs d’Angers.
– Je l’ignore, dit-elle, mais ce dont je suis certaine, c’est qu’il faudrait un miracle pour que les Anglais ne se rendent pas maîtres de la totalité de la France.
– Les miracles, madame, je n’y crois guère. Je ne fais confiance qu’à mes armes et à vous-même. Sans doute vous surprendrais-je si je vous disais que je vais ranger mon épée au fourreau en attendant des jours meilleurs. Eh bien, non ! J’ai décidé de ne pas abandonner la lutte. Mon cousin La Trémoille m’a trahi ? Je ne le lâcherai pas. Il veut la guerre ? Il l’aura ! Je lui ai montré, à Bourges, qu’il devrait compter avec moi.
Alors que la brouille s’installait entre le dauphin et son connétable, le Gros Georges avait commis une bourde : il avait fait chasser de Chinon l’épouse de Richemont, Marguerite de Bourbon, fille du duc Philippe le Bon. On n’expulse pas comme une catin une dame de cette condition ! La réaction du connétable n’avait pas tardé : il avait, sous un coup de colère, envoyé une troupe de Bretons mettre le siège devant Bourges. De ce jour, La Trémoille avait juré la perte de son cousin. Le dauphin, lui, noyé dans ses obsessions, n’avait pas réagi à ce défi : après tout, il ne s’agissait que d’une démonstration de force.
La guerre entre La Trémoille et Richemont s’était déplacée vers le Poitou où ils possédaient tous deux
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