Eugénie et l'enfant retrouvé

toute une nuit ensemble. Et pour la première fois aussi, Elise avait raccroché le téléphone au nez de sa mère. La pauvre dame n’en finissait pas de s’inquiéter des qu’en-dira-t-on. Très troublée, sa grande fille décida de faire la sourde oreille.
    Le matin venu, ils vidèrent la glacière pour trouver de quoi déjeuner. Un peu après neuf heures, Fernand se tenait près de la porte, légèrement embarrassé.
    — Maintenant, je vais aller voir les résultats de la commotion semée hier, dit-il.
    — Cela ira, tu as agi pour le mieux, répondit Elise pendant qu’elle replaçait le col de sa chemise et ajustait sa cravate.
    — Et pour toi, cela ira ?
    — Si tu ne me vois pas pendant un mois, ce sera que ma mère m’a enfermée dans ma chambre au pain et à l’eau pour avoir découché.
    — Dans ce cas, j’irai camper sous ta fenêtre. Charles me prêtera bien son équipement.
    Us se quittèrent sur un baiser.

    *****

    La maison était silencieuse. Seule la présence de Charles aurait permis de revenir à la normalité. Quand il était là, chaque adulte incarnait sans sourciller son rôle dans cette mauvaise comédie. Mais le gamin renouait avec l’expérience séculaire de ses compatriotes: se faire dévorer par les moustiques à l’orée d’un bois.
    A midi, personne ne se donna la peine de se rendre à la salle à manger. Gloria dut traverser la maison avec un plateau, afin de permettre à chacun de se sustenter dans la solitude. Fernand avala son repas en parcourant le dossier de l’adoption du fils d’Eugénie. Puis, dans un grand soupir, il se résolut à bafouer pour la seconde fois les règles de sa profession.
    La chemise cartonnée sous le bras, il monta à l’étage et frappa doucement à la porte. Gladys Murphy vint ouvrir.
    En le voyant, elle sortit dans le couloir en fermant derrière elle. — Monsieur Dupire, la bonne m’a dit tout à l’heure que vous étiez revenu. Je m’apprêtais à descendre vous parler.
    Ce matin, madame a émis le souhait de vous voir.
    — Comment va-t-elle ?
    — Elle est bouleversée, bien sûr. Mais à part cela, elle ne se trouve pas plus mal qu’hier.
    — Elle vous a dit ce qui se passait ?
    L’infirmière lui adressa un sourire attristé. Beaucoup de ses clients mettaient un peu d’ordre dans leur vie, au moment de la quitter. Les secrets de famille ne faisaient pas mystère pour elle.
    — Elle m’a donné l’ordre de ne jamais aborder le sujet, mais je devine. Ce grand jeune homme attaché à vos pas n’était pas dans la maison pour dactylographier des textes.
    Elle aussi avait entendu le bruit d’une porte se fermant deux fois d’affilée. L’un espionnait l’autre.
    — Je peux la voir ?
    — Certainement. Je vais aller rejoindre les domestiques.
    Parler un peu ne me fera pas de mal.
    Elle souhaitait passer un moment avec les vivants, discuter du temps
    qu’il
    faisait
    sans
    arrière-pensée.
    Fernand
    hocha la tête, puis frappa encore à la porte, entra sans attendre de réponse.
    Eugénie reposait dans son lit. Elle leva la tête et murmura :
    — Merci d’être venu. Je ne me sens pas la force de descendre aujourd’hui.
    — C’est naturel. Veux-tu que je redresse un peu le lit?
    Elle donna son assentiment de la tête. Après l’avoir installée dans une position assise, l’homme déplaça la table montée sur roulettes pour la mettre devant elle, puis posa le dossier au milieu.
    — Voilà donc l’objet de la quête de Jacques.
    La femme ouvrit la chemise, parcourut l’entente des yeux. Elle tenait sur moins d’une page.
    — Comme cela a été rédigé prudemment !
    Le texte évoquait un mystérieux bienfaiteur désireux de subvenir aux besoins d’un garçon adopté par le couple Létourneau, jusqu’à ce que l’enfant atteigne ses dix-huit ans. Le rôle de Thomas Picard se limitait à transmettre l’argent au notaire Dupire, qui ferait les paiements avec régularité.
    — Le but était de préserver l’anonymat. Rendu public, le document n’aurait pas révélé l’identité des parents de l’enfant.
    — Tout de même, on peut la deviner.
    — Soupçonner, pas plus.

    — Mais la preuve existe, commenta Eugénie. L’adoption elle-même a laissé des traces légales.
    — Tu sais, dans ces histoires, tout le monde participe de bonne grâce au secret, car chaque famille peut vivre la même situation un jour. Tu as dû être admise dans une clinique de l’Etat de New York sous un faux nom...
    — Je