Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
bourgeois,
    — Et Edouard ? Tu n’as pas pensé que mon frère pouvait avoir semé un bâtard quelque part ?

    Le mot fit l’effet d’un coup de fouet au jeune homme.
    La répartie vint comme un grincement.
    — Il était trop jeune à l’époque.
    — Tu crois ? Le mystère, pour moi, est que cela ne lui soit jamais arrivé.
    Tout de même, intérieurement, elle devait convenir que son cadet était encore un novice des aventures, en 1908.
    — C’était moi, résuma-t-elle. Rien que moi.
    — Toute cette magouille, demanda Jacques, soucieux de prendre l’initiative de la conversation, tu l’ignorais ? Je veux dire un contrat, une famille adoptive, tout ça.
    Lui aussi ne souhaitait plus s’en tenir au vouvoiement.
    Une fois au courant de la situation, la filiation entre eux lui paraissait évidente.
    — Oui et non. A cette époque, mon père a tout pris en main. J’ai accouché aux Etats-Unis, cette femme était avec moi, elle m’assurait qu’une bonne famille s’occuperait du bébé... Je veux dire de toi. Je ne me suis jamais posé la question en fait. Dans mon esprit, tu te trouvais de l’autre côté de la frontière.
    Dans le plus grand secret, «cette femme», c’est-à-dire Elisabeth, s’était arrangée pour que l’enfant revienne à Québec. Pendant toutes les années où sa fille essayait d’oublier même l’existence de cet épisode de sa vie, Thomas s’arrangeait pour garder un œil sur son petit-fils.
    — En réalité, pendant dix ans, je n’ai rien soupçonné.
    Puis, en 1919, Fernand m’a parlé d’une adoption par un employé de mon père...
    Les mains de Jacques se crispèrent sur le pied métallique du lit.
    — Tu m’as laissé là pendant dix ans de plus ! cria-t-il. Tu savais, et tu m’as abandonné dans cette famille.
    La colère lui donnait des envies de violence. Dans son esprit enfiévré, la petite maison de Limoilou prenait des allures de cachot, et jamais cette femme n’avait essayé de l’en sortir. Mais en réalité, il avait vécu mieux que les neuf dixièmes de ses voisins !
    — Je ne savais pas quel employé, se défendit-elle. Mon père devait en avoir près de deux cents, alors.
    Le garçon arriva très difficilement à se maîtriser. Picard embauchait surtout des femmes. Tout au plus, trente hommes figuraient sur la liste du personnel. Trouver celui qui avait adopté un enfant en 1909 ne posait aucune difficulté. Et en plus, elle avait vu le blondinet des Létourneau à plusieurs reprises.
    — Tu ne voulais pas savoir, c’est tout, lui reprocha-t-il.
    Tous les deux se livraient un duel avec les yeux.
    — Avoir abandonné un enfant ne te troublait pas, continua Jacques au bord de l’explosion. Tu profitais de ta petite vie confortable dans ce château...
    Il se retint d’évoquer sa propre existence de misère.
    Personne n’avalerait l’histoire du pauvre orphelin dans sa bouche.
    — Profiter de la vie ! rétorqua la malade, le feu dans les yeux. Tu n’as aucune idée de ma situation. Un enfer...
    — Dans cette grosse maison ?
    Tous les deux se complaisaient à présenter leur passé comme une torture continuelle. Maintenant, ils se défiaient avec des yeux chargés de haine.

    *****
    Même en pressant le pas, Fernand arriva au Château Saint-Louis plusieurs minutes après l’heure convenue. Il passa en coup de vent devant le bureau du gardien. Comme chaque fois, celui-ci lui adressa un «Bonjour, monsieur»
    un peu gouailleur. Cet après-midi-là, il ne reçut aucune réponse.
    Lorsqu’il fut rendu au sixième étage, la porte s’ouvrit après quelques coups impatients.
    — Dieu merci, tu es encore là ! s’exclama-t-il.
    — Je m’apprêtais à mettre mes gants pour partir...
    Elise s’interrompit devant le visage catastrophé, puis demanda :
    — Un malheur est arrivé ?
    — Oui... Non... En réalité, je ne sais pas. Je viens tout juste de présenter son fils à Eugénie.
    Une fois la stupeur passée, la femme s’écarta de la porte pour le laisser entrer.
    — Viens t’asseoir avec moi.
    Dans les moments de crise, Elise s’accrochait à son bras, tenait son corps près du sien. Sa proximité semblait l’apaiser.
    L’homme prit place dans l’un des fauteuils.
    — Veux-tu boire quelque chose ? Thalie doit bien avoir du cognac ou du whisky.
    — Non, du moins, pas tout de suite.
    — Alors, tu peux me raconter ? demanda-t-elle en prenant place dans le fauteuil en face de lui, penchée dans sa direction.
    Fernand ne savait

Weitere Kostenlose Bücher