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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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revenais de France, mes malles portaient les autocollants de la compagnie maritime, je parlais anglais avec un horrible accent. Pour le médecin, j’étais une gamine de Bordeaux.
    — Tu vois. Là-bas, ils ont requis les services d’un avocat pour régler l’adoption d’un petit Français par une bonne famille catholique de la province de Québec.
    Dans ces histoires, la honte du péché se combinait au désir de respecter les convenances. Les jeunes filles devaient se marier vierges, les enfants naître dans les liens sacrés du mariage. Alors, dans les milieux bourgeois, les bâtards disparaissaient. On les retrouvait dans des orphelinats, jusqu’à ce que de bonnes âmes les prennent chez eux. Les précautions de Thomas Picard avaient évité ce purgatoire à Jacques.
    — Mais toi, tu savais, dit la malade.
    — Mon père m’a mis au courant avant le mariage, pour me dissuader. Je te l’ai déjà dit.
    Eugénie gardait un souvenir cuisant de cette conversation, dix ans plus tôt, peu après la mort de son père.
    — Cela ne te dérangeait pas ?
    — Je t’aimais. Tu ne te souviens pas ?
    Dans un meilleur état de santé, la jeune femme aurait rougi, de honte ou de colère.
    — J’ai abandonné un enfant, souffla-t-elle. Quand je te vois avec les tiens...

    Elle n’osait pas dire «les nôtres».
    — As-tu eu le moindre choix? J’ai connu ton père. Il ne tolérait aucun obstacle à sa volonté.
    — ... Élisabeth aurait aimé le garder pour l’élever elle-même. Il n’a pas voulu.
    — A la voir se comporter avec les enfants des autres, elle a souffert de ne pas avoir les siens. Mais si Thomas avait accepté, tu n’aurais pas supporté la situation. De son côté, ton père ne voulait pas salir sa réputation.
    Eugénie ferma le dossier posé devant elle et murmura d’une voix basse :
    — Ah ça ! Je suis le déshonneur de la famille. Fais disparaître ces papiers.
    — C’est bien mon intention. Les conserver ne sert plus à rien.
    L’homme récupéra les documents. Il allait partir quand elle demanda :
    — Pourquoi as-tu fait entrer ce garçon dans la maison ?
    — Thomas te l’a enlevé. C’était injuste.
    — Tu pensais que nous nous reconnaîtrions ?
    — Je suis un romantique.
    A l’évocation de ce constat, l’homme esquissa un sourire contraint. Le qualificatif semblait lui convenir tout à fait.
    — D’après toi, ce fut une erreur? demanda-t-il.
    — Je ne sais pas. Maintenant, je n’ai plus aucune opinion sur rien.
    — Repose-toi bien. Je vais dire à Gladys de monter.
    Veux-tu que je redescende le lit?
    De la tête, la malade fit signe que non. L’homme approchait de la porte quand elle dit encore :
    — Fernand... ce ne sera plus très long maintenant.
    Bientôt, tu seras libre.

    — Tu sais, tu n’as pas besoin de mourir pour cela. Quand j’ai cessé de t’aimer, j’ai retrouvé ma liberté. J’ai juste été long à recouvrer mes esprits.
    Cette fois, il se sauva, heureux de détourner les yeux d’un pareil gâchis.

    *****
    Pendant une semaine, Eugénie se terra dans sa chambre.
    La maladie lui fournissait le motif parfait pour s’isoler et lécher ses plaies. Tous les jours, Fernand accompagnait Charles lors de ses courtes visites. Elle recevait l’un et l’autre avec un sourire un peu intimidé, accueillait leur départ avec un soulagement que chacun choisissait d’attribuer à la fatigue.
    Le 3 août, la famille fut de nouveau réunie, les enfants se trouvaient tous à la maison. Pour l’occasion, même la vieille madame Dupire sortit de sa retraite à l’heure du souper. Un peu avant sept heures, tout le monde occupait sa place dans la salle à manger.
    — Merci, Gladys, fit une voix éraillée dans le couloir, j’aimerais entrer par mes propres moyens.
    Un instant plus tard, Eugénie se dressait dans l’embrasure de la porte, une silhouette un peu fantomatique dans une vieille robe en mousseline blanche. Une écharpe de même couleur couvrait ses épaules, comme si elle craignait d’avoir froid.
    — Je suis un peu étonnée d’entrer encore dans cette tenue, déclara-t-elle en guise de salutation. Elle doit bien dater du début de la guerre.
    En réalité, le vêtement flottait sur elle. Antoine et Béatrice se levèrent, intimidés.
    — Maman, je suis très heureuse de te revoir, réussit à articuler l’adolescente.
    — Moi aussi, répondit la malade. Viens...
    La voix se brisa quand elle ouvrit les bras. Plus embarrassée que jamais

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