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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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instant mon père Lemec'h avait semé un monde neuf, léger comme le printemps.
    Filles, sœurs, mères, épouses, les femmes d'Hénoch retrouvèrent l'assurance de celles qui savent porter la vie. À nouveau, racontant mille histoires où elles imaginaient le monde de demain, elles attisèrent à pleins bras les feux, pétrirent la pâte des galettes, cardèrent la laine et battirent le linge souillé. La fumée des fours monta aussi droite et épaisse que celle des autels. La laine et les cadres à tisser reprirent leur place sous l'appentis. Les reproches haineux s'y effacèrent comme d'un frôlement de paume.
    La coutume d'Hénoch voulait qu'au crépuscule les jeunes filles promènent leurs longs cheveux à la porte du Sud. Les garçons de la cité grimpaient sur le mur de l'enceinte pour les y admirer. Les appels et les
compliments fusaient. Les jeunes dents scintillaient. Les plaisanteries rougissaient les joues. Depuis la mort de Caïn et de Tubal, nul garçon ou fille n'avait osé s'y montrer. Le soir même de ce jour où Lemec'h s'adressa aux femmes autour du puits, j'y fus comme les autres, en compagnie de Noadia. La promesse contenue dans le ventre de Beyouria courait sur toutes les lèvres. On nous fêta. Des garçons nous jetèrent des colliers de pierres bleues et des bracelets d'argent. Un bonheur acide irritait nos sens. Il m'envahit, comme mes compagnes.
    J'étais jeune et ignorante. Ou je désirais l'être. Et moi comme les autres, plus encore que les autres, je voulais croire les mots de mon père. Croire que Grande-Mère Awan se trompait. Je ne voulais plus me réveiller dans le noir brûlée par la peur, le cœur serré par la prédiction de malheur de notre Grande-Aïeule.
    Seule ma mère Tsilah conservait un air sombre. Sa colère contre Lemec'h ne faiblissait pas. La mort de mon frère Tubal lui déchirait toujours les entrailles. Un soir où Noadia et moi rentrions de la porte du Sud, elle me saisit le bras et, m'écartant de ma sœur, me poussa sous l'appentis de la cuisine. Des braises rougeoyaient dans les fours. Elles me parurent aussi brûlantes que les mots de ma mère :
    — Nahamma, ne te laisse pas tromper. Lemec'h ne crache que des mensonges. Ne le crois pas : la Grande-Mère Awan en sait plus sur la colère d'Élohim que lui. La vérité sort de sa bouche. Elle est trop vieille et trop triste pour mentir. Elle dit ce qui adviendra.
    — Mère ! protestai-je. Mère, comment croire qu'Élohim veut nous faire disparaître ? Si mon père ne retournait pas la peur en rire, qui demeurerait dans Hénoch ?
    Ma mère ne m'écoutait pas.
    — Lemec'h craint son châtiment, s'obstina-t-elle. Il fait régner la folie sur Hénoch afin que tous se montrent aussi coupables que lui. Il connaît le pouvoir des mots. Sa promesse de générations à venir n'est qu'une tromperie. Les femmes d'Hénoch s'y aveuglent comme les papillons à la flamme. Les rires et la gaîté mentent. Rien de bon n'en sortira.
    — Ce n'est pas un mensonge, m'entêtai-je à mon tour. Le ventre de Beyouria est plein.
    — Oh comme il est aisé de te tromper, Nahamma, ma fille ! Qui peut dire quelle vérité contient le ventre de Beyouria ? Qui peut dire la vie qui sortira de ses cuisses ? Il faut être faux comme Lemec'h pour clamer que ce sera là le premier de cent et cent générations. N'est-ce pas le malheur de Caïn et la mort d'Abel qui sont sortis des cuisses d'Ève, notre mère à tous ? Sa douleur ne nous enseigne-t-elle rien ?
    Son visage était si dur, sa voix si aigre et si lourde de rancœur ! Ma gorge se serra. Je me détournai. Qu'elle ne voie pas mes larmes et le dépit qui me brûlait la face ! Ma mère tant aimée voulait-elle m'attirer à toute force dans la souffrance et l'obscurité qui la rongeaient ?
    Je partis en courant rejoindre Noadia et Adah. Elles se tenaient sous les lumignons d'huile. Leurs visages me parurent beaux et sereins. Je les enviais. Ma pauvre mère, songeai-je, ne pourrais-tu trouver le repos, comme elles ?
    Mon propre visage devait dire ce que ma bouche
taisait. Adah me fit asseoir près d'elle. Elle murmura :
    — Nahamma, n'en veux pas à ta mère. Elle voit le ventre rond de Beyouria, elle voit nos mines joyeuses, elle entend nos rires. Elle vit dans le souvenir du visage de Tubal détruit par notre époux Lemec'h. La tristesse ne lui laisse aucun répit. Quelle femme ne se laisserait pas submerger par l'amertume ?
    Adah disait juste, je le

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