Ève
savais. La gaîté nouvelle
d'Hénoch, presque furieuse, et provoquée par Lemec'h, insultait au deuil de ma mère. Le ventre de Beyouria chaque jour plus arrondi aggravait sa douleur. Je me mis à pleurer. Adah me caressa.
— Ne t'inquiète pas, chuchota-t-elle. Tsilah est la plus forte d'entre nous. Elle saura trouver son chemin pour sortir de la forêt du malheur. Et toi, tu es solide et belle. De quoi as-tu peur ? Les jours à venir seront les tiens.
Elle se leva et me tendit la main :
— Viens m'aider à masser le ventre de Beyouria pour que sa nuit soit bonne. Le fils qui en sortira devra être robuste et vigoureux.
Les paroles de ma mère me revinrent à l'esprit : « Qui peut dire la vie qui sortira des cuisses de Beyouria ? »
— Comment sais-tu que ce sera un fils et pas une fille ? demandai-je.
— Je le sais. Cela suffit. Et cela suffit aussi à Lemec'h.
8
À l'entrée de l'hiver, le ventre de Beyouria était gros de six lunes. Yaval, fils d'Adah, revint dresser sa tente sous les murs d'Hénoch. Il se présenta devant Lemec'h.
— Père, j'ai fait ce que tu as demandé. Je suis allé partout, nord et sud, est et ouest. Cet Hadahézer qui a engrossé Beyouria, je ne l'ai vu nulle part. À chaque homme que j'ai croisé, j'ai demandé : « L'avez-vous rencontré, lui et son troupeau ? » Partout on m'a répondu : « Non, non ! » Il est venu au printemps. Pourtant, l'été a passé, et pas d'Hadahézer sur les pentes de la montagne de Zagros. Beaucoup disent : « Soit Hadahézer est parti plus loin vers l'est, soit il a fini par faire de mauvaises rencontres. » Si c'est le cas, il est dans la poussière. Son bétail est devenu celui d'un autre.
— Que crois-tu toi-même ?
— Qu'Hadahézer est hors du pays de Nôd. Il n'est pas homme à faire de mauvaises rencontres et encore moins à perdre son troupeau. Mais aussi, il est un homme comme un autre. Peut-être veut-il seulement se tenir loin du ventre de Beyouria ? Mon père, si tu veux que je le cherche encore, et même le contraigne à venir s'agenouiller devant toi, dis-le.
Lemec'h ne répliqua pas. Il partagea son repas avec Yaval comme si de rien n'était. Il s'inquiéta du troupeau et le questionna sur les nouvelles qu'on colportait dans le pays de Nôd. Avec un peu d'embarras, Yaval dit :
— Dans le désert, on parle beaucoup du pouvoir des flèches de Tubal et de celle que tu as plantée dans la poitrine de notre Grand-Aïeul. Les idolâtres se réjouissent de la mort de Caïn. Ils ont appris les paroles d'Awan contre toi. Ils en trépignent de joie. Ils assurent qu'elle est toujours à attendre un signe d'Élohim sur la fosse où est enterré son époux Caïn.
Lemec'h fronça les sourcils :
— Ah ?
— Les idolâtres ont du respect pour la Grande-Mère Awan. Ils la considèrent comme une folle ou une démone. C'est leur manière de penser. Ils lui offrent de la nourriture et lui donnent leur meilleur lait. Ils écoutent les prédictions insensées qui sortent de sa bouche et s'en divertissent. Ils clament que nous, ceux d'Hénoch et des générations de Caïn, nous sommes nus et sans-Dieu. Après avoir écouté Awan, ils brûlent leurs plus jeunes agneaux sur les autels de leurs divinités, Mardouk et Sin. Ils dansent et chantent des jours et des nuits en appelant le Soleil et la Lune à nous anéantir.
Les yeux blancs de Lemec'h roulèrent en signe d'amusement.
— Je sens de l'appréhension dans ta voix, Yaval. Toi aussi, tu nous crois nus et sans la paume d'Élohim sur nos têtes ?
— N'est-ce pas vrai qu'Il se détourne de nous ? Sinon, pourquoi ce pays de Nôd est-il un désert où rien ne pousse quand le vert des jardins de l'Éden éblouit le ciel à une lune de marche de nos murs ?
— Patience, mon fils ! Le désert du pays de Nôd, telle était la punition infligée à Caïn le meurtrier et le premier de nos générations. Voici le neuf : Caïn n'est plus, grâce à la flèche de ton frère Tubal. Le châtiment d'Élohim cessera. La pluie viendra et le désert de Nôd reverdira.
La grimace de doute qui tordit le visage de Yaval, Lemec'h ne pouvait la distinguer. Pourtant, comme toujours, il devina ce qu'il ne pouvait voir. Il saisit son bâton et en frappa sans violence le flanc de Yaval.
— Laisse parler les idolâtres, fils de Lemec'h. Qu'avons-nous à craindre d'eux ? Qu'y a-t-il de nouveau dans leurs cris et leurs vantardises ? N'est-ce pas ainsi que
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