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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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disaient nos anciens. Mais à une voix dans le songe ? Elle m'arriva soudainement de je ne sais où. C'était la voix de ma mère Tsilah :
    — Regarde ! Ses paupières bougent. Elles bougent enfin !
    Puis j'entendis la voix d'Hanina, forte, presque violente :
    — Nahamma est vivante ! Venez donc voir, elle est vivante !
    Je me souviens d'avoir alors pensé :
    — Pourquoi s'étonnent-elles que je sois en vie ?
    Après quoi, tout redevint noir, profond et silencieux. Étrangement doux, aussi.
    Plus tard, ma mère me dit que cela dura jusqu'au jour suivant. Malgré les compresses et les emplâtres, la bosse derrière ma tête, presque aussi grosse que mon propre poing, ne s'amoindrissait pas. Ma mère me veilla sans quitter mon visage des yeux, mais à la fin de la nuit, elle s'endormit. À son réveil, l'aube pointait. La bosse de ma tête n'était plus qu'une plaie sombre. Je rouvris les paupières.
    La première chose que je vis, ce ne fut pas le visage de Tsilah, mais une lumière. Une lumière étrange. Était-ce là l'ombre d'Élohim qu'évoquaient nos anciens ? Elle traversait des épaisseurs de feuillage si mouvantes et si transparentes que j'en fus éblouie. Je voulus me protéger les yeux. J'eus du mal à lever la main. Ma mère m'abrita de son ombre. Je la vis. Elle riait.
    — Ma fille, ma fille, répétait-elle.
    Je ris avec elle, puis je dis :
    — J'ai faim. J'ai soif.
    Tsilah appela :
    — Nahamma est réveillée ! Nahamma est réveillée ! Elle parle !
    Sa voix me déchirait les oreilles. Bourdonnait dans ma tête. Je ne me plaignis pas afin de ne pas gâcher son bonheur.
    Nous n'étions plus dans l'embarcation, mais devant une hutte de branchage entourée d'arbres immenses.
    Ils étaient tous là, autour de moi : ma mère Tsilah, Hanina, Yohanan, Lekh-Lekha, Erel, Hannuku et An-Kahana. Tous souriaient.
    À côté d'eux, deux inconnus.
    L'un vieux, très grand. Au premier coup d'œil il me rappela mon père Lemec'h avant qu'il ne devienne aveugle.
    L'autre était plus jeune. Lui, je crus si bien le reconnaître que, bouleversée, je m'agrippai à la tunique de ma mère.
    Elle me devina, comme toujours. Elle me caressa le front. Il y avait aussi de la tristesse dans sa paume et dans le fond de son regard. Je compris aussitôt que je me trompais.
    Dans ce jeune inconnu à la longue chevelure couleur du coucher de soleil et à l'épaisse barbe, j'avais cru reconnaître Tubal, mon frère tant aimé.
    Maintenant que mes yeux voyaient mieux et que ma tête devenait moins lourde, je me rendis compte que ce jeune homme ressemblait beaucoup à Tubal, comme le plus âgé ressemblait à Lemec'h, mais qu'il était aussi très différent. La différence ne se manifestait pas seulement dans le dessin de ses lèvres et de son front ou dans ses gestes : c'était quelque chose qui émanait de lui.
     
    Je fus si troublée que je ne pus prononcer un mot. Pas même adresser un salut. Eux me dévisageaient intensément. Avec étonnement, comme intimidés.
    La bouche de ma mère Tsilah restait close, mais je la connaissais trop bien pour ne pas entendre sa pensée : N'est-elle pas belle, ma fille Nahamma ? D'une beauté comme vous n'en avez jamais vu ici ?
    L'embarras me fit détourner le regard. Je demandai enfin :
    — Où sommes-nous ? Que s'est-il passé ?
    Tout le monde se mit à parler à la fois.
    Le coup avait manqué me faire tomber dans le fleuve. Hanina et Hannuku m'avaient rattrapée alors que ma tête s'enfonçait déjà dans les vagues.
    — On a cru que tu étais morte ! Tu ne te réveillais pas. Et cette bosse sur ton crâne qui grossissait à vue d'œil !
    — Quelle horreur ! Et l'arche qui filait...
    Fixer la toile de notre tente au bois de la verge s'était révélé trop compliqué. Le courant du fleuve était devenu de plus en plus rapide. L'arche avait menacé de verser. Lekh-Lekha et Yohanan s'étaient évertués à la diriger en plongeant les perches dans l'eau. Sans effet, et
dangereux.
    Ces souvenirs mouillèrent les yeux de ma mère :
    — Et toi qui ne te réveillais toujours pas !
    Le fleuve soudain avait rejoint un autre fleuve, plus large encore. Les berges s'étaient éloignées.
    — Quelle peur nous avons eue ! Où que nous regardions, il n'y avait que de l'eau ! Un désert d'eau ! Puis nous avons croisé d'autres arches. En très grand nombre.
    — Le courant nous poussait vers elles, expliqua Yohanan. On les approchait de si près

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