Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
Vom Netzwerk:
dénué de reproches que Noah et moi, la fille de Lemec'h ?
    Soudain me revint le souvenir de Youval et de sa musique. De l'enchantement qu'il procurait à tous et à toutes quand il jouait de son flûtiau. Jamais le mal ne l'avait souillé, jamais Yaval n'était parvenu à le corrompre. Ne méritait-il pas plus que moi de monter dans l'arche de Noah ?
    Où était la justice de YHVH-Élohim ?
     
    Ève m'enlaça et caressa mon front.
    — Dors, Nahamma ! Dors ! Laisse tes pensées s'envoler dans la nuit et dors, me chuchota-t-elle à l'oreille comme si elle avait entendu mon tourment. Repose-toi. Le jour de demain viendra bientôt. Il t'apprendra ce que tu dois apprendre.
    N'est-ce pas la plus étrange chose que je m'endormis aussitôt ?
     

15
    — Nahamma ! Nahamma, lève-toi ! Viens dehors !
    Ève tenait ouverte la tenture de la hutte. L'obscurité de la nuit pesait encore sur la cour.
    Je quittai la couche en craignant le retour de la nausée. Au contraire, je me sentis fraîche et dispose malgré le peu de sommeil.
    Aussitôt franchi le seuil je me rendis compte de mon erreur. Le jour était levé, mais le ciel était d'un gris de cendre, épais et même noir au sud. Au nord il se déchirait et livrait un peu de la blancheur de l'aube. Partout au-dessus de nos têtes, les nuages roulaient, se chevauchant si bas qu'ils semblaient vouloir agripper la terre. Le vent soufflait en bourrasques lourdes, humides. Il poussait dans la bouche un goût que je reconnus avec surprise. Plus d'une fois, je l'avais respiré près de la forge de mon frère Tubal. Lorsqu'il trempait ses pointes de bronze dans l'eau, cela produisait une vapeur à l'odeur si épaisse qu'elle semblait crisser sous les dents.
    Je croisai le regard d'Ève. Elle me dit :
    — Il se pourrait que la pluie tombe aujourd'hui.
    Mon cœur se mit à battre plus vite et plus fort. Je protestai :
    — Impossible ! Noah m'a dit que le travail sur l'arche n'était pas encore terminé...
    Je lui parlai du bitume, de la quantité de planches qui devaient en être enduites, à l'intérieur comme à l'extérieur.
    — Cela prendra plus d'une lune. L'eau ne pourra pas porter l'arche si Noah n'achève pas son travail.
    Ève sourit, moqueuse.
    — Connais-tu si mal YHVH que tu puisses croire qu'une telle chose lui soit impossible ?
    Repoussant ses mots d'un geste, je demandai :
    — Où est Noah ? Est-il parti vers son arche ?
    En vérité, en sortant de la chambre, j'avais été piquée de ne pas le voir à côté d'Ève.
    Elle me désigna le mur du jardin d'Adam. De la fumée s'élevait dans la lumière sombre, tournoyait et chutait avant de se redresser ou d'être dispersée par un coup de vent. La fumée très reconnaissable d'un autel, comme tant de fois j'en avais vu dans la cour de mon père Lemec'h à Hénoch.
    — Noah prie avec son père et son grand-père, dit Ève.
    Elle ajouta avec une pointe d'ironie :
    — Ce jour tout gris et menaçant est certainement propice aux offrandes.
    J'allais demander si nous ne devions pas en faire autant quand une servante accourut. Elle hésita, manqua de s'adresser à moi avant de faire face à Ève :
    — Ils sont tous là ! Sous le tamaris.
    — Qui donc ?
    — Les bannis d'Hénoch.
    Ève s'était trompée. Mes compagnons étaient là, comme elle le leur avait proposé, malgré le ciel de cendre et de menaces. Elle me regarda en souriant :
    — On se lasse de tout, sauf d'apprendre.
     
    Elle me prit la main pour les rejoindre et sans doute jouir de l'effet que nous produisions, fausses sœurs si semblables. Ils se levèrent à notre arrivée. Une bourrasque fit flotter leurs tuniques et les voiles dont Hanina et ma mère Tsilah s'étaient enveloppées. Comme lors de notre dernière rencontre, elles baissèrent le regard quand je les saluai. C'est alors que je découvris qu'il manquait un visage.
    — Erel ! Où est Erel ? m'écriai-je.
    Ma mère Tsilah me répondit :
    — Près d'Élohim s'Il le veut. Elle ne supportait plus d'attendre avec cet enfant dans son ventre. « À quoi bon donner une vie qui ne sera jamais vivante ? », demandait-elle sans arrêt. Je n'ai pas su lui répondre. Aucun de nous n'a su lui répondre.
    Ma mère Tsilah releva enfin les yeux. Ils étaient
rougis par les larmes. Son visage et son regard n'en paraissaient que plus durs. Elle fixa Ève :
    — Alentour, il ne manque pas de femmes qui s'ouvrent la gorge, se déchirent le ventre ou décident de

Weitere Kostenlose Bücher