Ève
tes pensées, qu'il ne croie pas être le seul à penser dans ce jardin.”
« Ainsi ai-je fait. Nous allions et je disais : “Ô Adam, vois ceci, regarde cela.” Je lui disais : “Adam, quand tu regardes voler ce papillon ou paître ce bouc, tu penses telle ou telle chose. Mais on aurait pu aussi en penser ceci...”
« Il me répondait : “Je vois, je vois ! J'ai des yeux pour voir. Que veux-tu que je voie dans ce jardin que je n'aie pas déjà vu ? Tout est là et rien ne manque. Tout est parfait, je le sais et tu le sais. Et ce que tu penses que je ne pense pas, à quoi cela pourrait-il m'être utile ? Puisque mes pensées sont comme tout ce qui vit et pousse en ce jardin : parfaites. N'oublie pas que je n'ai rien à connaître de plus, car les fruits de l'arbre du bon et du mauvais nous sont interdits !”
« Il ne m'a pas fallu longtemps pour comprendre que ce qui l'intéressait le plus en moi, c'était que l'on soit mâle et femelle, comme l'avait réclamé YHVH. Fort bien, cela m'allait aussi. Bien que le goût de toute chose en ce jardin se valait : le fruit, l'eau ou le plaisir d'être femme. Mais c'était ainsi. Nous savions encore nous en satisfaire.
Le rire d'Ève sonna, fort et clair.
Maintenant, même ma mère Tsilah l'écoutait. Sur son visage, tous les plis de la fatigue, de la colère et de la crainte semblaient avoir été lavés. Sur tous les visages, le vent de glace et la mauvaise humeur avaient cessé de souffler. Tous, ils l'écoutaient comme si les flammes apaisantes et réconfortantes d'un grand feu brûlaient près d'eux. Leurs yeux suivaient les mains dansantes d'Ève, guettaient sa bouche, sa nuque qui s'inclinait, se ployait de temps à autre comme si, devinant leurs pensées et les émotions qui couraient sous leur peau, elle cherchait à les modeler.
Par moments, elle s'interrompait, scrutant sa mémoire avant que sa langue ne mouille ses lèvres et que les mots n'y fusent à nouveau.
— Un jour, alors que nous nous promenions près de la source du fleuve Sihon où commençait le monde des idolâtres et des bêtes sauvages, Adam m'a caressé la nuque d'une manière que j'avais appris à connaître.
« Je lui ai demandé : “Ici ?”
« Il m'a répondu en riant : “Ici, oui. Pourquoi pas ? Dans notre jardin, ici est comme partout, et partout ici me convient.”
« “Même dans ce jardin, ici n'est pas tout à fait comme ailleurs, lui ai-je dit en lui montrant un chemin net et bien reconnaissable. Ce chemin, c'est celui qui mène à l'arbre de la connaissance du bon et du mauvais. Moi, je n'aime pas m'en trouver si près.”
« Adam a ri en secouant la tête. “Ah, femme, que tu es curieuse ! YHVH a planté l'arbre de vie au centre de notre jardin. Tous les chemins y conduisent ou aucun. Il suffit de ne pas y penser, et l'arbre n'existe plus.”
« Je n'ai rien ajouté. Je me suis allongée dans les fleurs parfaites. Nous avons joui parfaitement. Ensuite, Adam s'est tourné sur le côté et s'est endormi.
Là, Ève fit un clin d'œil vers Tsilah et Hanina en ajoutant tout bas :
— Les hommes ne s'endorment-ils pas souvent à ce moment-là ?
L'allusion espiègle d'Ève entraîna ma mère et Hanina, puis Hannuku, dans une allégresse intense. Lekh-Lekha et Yohanan grimacèrent, les joues d'An-Kahana rougirent. Chacun, en cet instant, semblait avoir oublié la désolation qui les guettait.
— Donc Adam dormait et moi, comme souvent dans ces cas-là, je songeais à une chose et à une autre. Une pensée m'est venue. Je me suis dit : Ève, regarde donc ce qui vit et grouille en ce jardin de l'Éden. Les bêtes et les animaux vont par femelles et mâles. Ils se font face et engendrent des générations semblables à eux. Si YHVH vous a voulus, Adam et toi, face à face, n'est-ce pas pour que tu engendres à ton tour des Adam et Ève ? Oh si, certainement.
« Aussitôt, de nouvelles questions se sont succédé : Comment cela sera-t-il possible ? Que deviendrai-je ? Que deviendra le vivant qui sortira de moi ? À quoi cela ressemblera-t-il ? Qu'apportera-t-il ? Que ferons-nous de lui, que fera-t-il de nous...
« Des questions, des questions, encore des questions !
« Je me suis tournée vers Adam pour les lui poser. Mais il dormait d'un sommeil si profond que je n'ai pas voulu le réveiller. À ce moment précis j'ai entendu un bruit, un bruit sourd derrière moi...
Ève suspendit
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