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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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m'apaisa.
    Il regarda le ciel, le jour allait bientôt finir.
    — Rentrons, dit-il. Ève n'aimerait pas que je te fasse marcher la nuit.
    Ève. À entendre le nom de notre Mère à tous, je tressaillis. Approuverait-elle mon alliance avec Noah ? L'aimait-elle ? Le rejet et la violence de Seth l'avaient-ils éloignée de son petit-fils ?
     
    Nous allions emprunter la première échelle pour descendre. Je posai la main sur une planche pour me retenir lorsque, en baissant les yeux vers le sol, une illusion m'envahit. À la place de la forêt de cyprès, des chemins et des débris de bois qui recouvraient la terre nue alentour, je vis de l'eau.
    De l'eau à perte de vue. Lourde et puissante, aux vagues serrées sous le vent, comme je les avais découvertes sur le fleuve Sihon. Mais celles-ci étaient plus immenses encore et leur nombre infini. Sous les flots, la terre et ses rives avaient disparu.
    L'eau, vague après vague, monstrueuse de démesure, submergeait tout, noyant tout sans pitié.
    — Noah !
    J'agrippai sa manche, je m'accrochai à lui comme si je tombais dans le vide de cette illusion.
    — Noah, j'ai vu l'eau ! balbutiai-je. J'ai vu l'eau partout autour de nous !
    Il vit mon effroi et sut ce que j'avais compris.
    — Ce n'est pas seulement ceux d'Hénoch, n'est-ce pas ? balbutiai-je. Ce n'est pas seulement les générations de Caïn et du pays de Nôd que le déluge de YHVH-Élohim engloutira ? C'est ce pays, aussi. C'est Ève, aussi, ton père Seth. Toute sa maisonnée...
    Noah acquiesça d'un signe. Il murmura :
    — « Tous les vivants, toutes les chairs issues des Premiers », a dit Élohim.
    — Y compris Ève et Adam ? répétai-je.
    Il approuva encore. Je me laissai glisser sur les planches en gémissant :
    — Ô Noah ! Pourquoi ? Pourquoi être si dur ? Tous ces gens, et les Ancêtres, qu'ont-ils fait ? Ont-ils tué et menti comme mon père Lemec'h ?
    Il ne répondit pas. Qui le pouvait, sinon YHVH-Élohim ?
    Doucement, Noah me releva. Il m'aida à descendre les échelles et à sortir de l'arche.
     
    Durant tout le chemin du retour, le silence pesa entre nous. Nous ne pouvions ni l'un ni l'autre prononcer un mot. Nous prendre la main, nous ne le pouvions pas non plus.
    La pénombre du crépuscule était déjà là quand nous entrâmes dans la cour. Les femmes éteignaient les feux dans l'appentis de la cuisine. Leur vue me trancha la poitrine. La nausée m'envahit. Je voulus encore m'agripper au bras de Noah. Ma main n'attrapa que le vide. Je m'écroulai à quatre pattes, vomissant à m'en retourner les entrailles.
    Une pensée me vrilla les reins : jusqu'au jour du châtiment de YHVH, je ne verrai plus que des vivants allant vers la noyade. Tous ces visages, vieux et jeunes, ces nouveau-nés, les malades et les vigoureux, les beaux et les répugnants, les hommes, les femmes... tous, tous, je les verrai désormais accomplir leurs derniers pas sur cette Terre.
    Avant de sombrer dans les ténèbres, je crois bien avoir hurlé contre Noah, contre YHVH.
    Contre moi, aussi, qui allais devoir assister, impuissante, à la fin du monde.
     

14
    Quand je me réveillai, je reconnus la silhouette accroupie sur un tabouret près de ma couche, éclairée par une mèche.
    — Ève !
    — YHVH soit loué Qui te rend enfin à nous !
    Elle leva le lumignon et l'approcha de mon visage. Les plis de son front s'effacèrent. Elle sourit, me caressa les tempes.
    — Sotte que tu es ! Comme tu as effrayé mon Noah. Lui si calme, si apaisant ! Jamais je ne l'ai vu montrer une émotion pareille. Si moi j'étais tombée raide devant lui comme tu l'as fait, il se serait agenouillé à mon côté pour attendre mon dernier souffle, en priant YHVH de me faire bon accueil. Mais là, tu aurais dû le voir ! Il bondissait et hurlait comme n'importe quel homme : « Oh, maintenant je sais pourquoi YHVH l'a choisie ! Oh oui, je le sais ! Ô YHVH, Seigneur de tous les mondes, pourquoi me la reprendre ? Tu ne le peux pas, Tu ne le peux pas ! »
    Ève riait. Le rire mouillait ses yeux et les faisait briller. Mais derrière la joie je devinai la lassitude et la tristesse. Le doute aussi, peut-être.
    — Il a eu raison de gronder, mon Noah, dit-elle. YHVH nous a souvent montré l'infinité de Ses caprices et de Ses revirements. Si bien qu'on en a perdu le goût de toujours plier la nuque devant Lui !
    Les paroles d'Ève me rappelèrent tout : l'arche de la forêt, ce

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