Excalibur
les
chrétiens ! » De joie, il esquissa maladroitement deux pas de danse. « Les
évêques en compisseront leurs robes noires, hein ?
— Mais
vous n’êtes pas certain de réussir, dis-je, cherchant désespérément à être
rassuré.
— Ne sois
pas absurde, Derfel. Pourquoi attends-tu toujours de moi des certitudes ?
Tout ce que je peux faire, c’est accomplir le rituel et espérer m’en tirer bien !
Mais tu as vu quelque chose, ce soir, non ? Cela ne t’a-t-il pas convaincu ? »
J’hésitai, me
demandant si ce à quoi j’avais assisté n’était pas une illusion. Mais quel tour
pouvait faire briller la peau d’une jeune fille dans le noir ? « Et
les Dieux combattront les Saxons ? demandai-je.
— C’est
pour cela que nous les invoquerons, Derfel, répondit patiemment Merlin. Le but,
c’est de restaurer la Bretagne telle qu’elle était jadis, avant que sa
perfection ait été dégradée par les Saxons et les chrétiens. » Il s’arrêta
au portail et regarda fixement la campagne obscure. « J’aime beaucoup la
Bretagne, dit-il d’une voix soudain faible. J’aime tellement cette île. C’est
un endroit spécial. » Il posa une main sur mon épaule. « Lancelot a
incendié ta maison. Où vis-tu maintenant ?
— Il faut
que je m’en bâtisse une, dis-je, pensant que ce ne serait pas à Ermid’s Hall où
ma petite Dian était morte.
— Dun
Caric est vide, et je te laisserai y vivre, à une condition : que lorsque
mon œuvre sera accompli et que les Dieux seront avec nous, je puisse venir
mourir chez toi.
— Vous
pourrez venir y vivre, Seigneur.
— Mourir,
Derfel, mourir. Je suis vieux. J’ai une dernière tâche à accomplir, et je m’y
attellerai à Mai Dun. » Il laissa sa main sur mon épaule. « Tu crois
que j’ignore les risques que je cours ? »
Je sentis la
peur en lui. « Quels risques, Seigneur ? » demandai-je,
embarrassé.
Une chouette
effraie cria dans l’obscurité et Merlin guetta, la tête dressée, un nouvel
appel, mais il n’y en eut pas. « Toute ma vie, dit-il au bout d’un moment,
j’ai cherché à ramener les Dieux en Bretagne, et maintenant j’en ai les moyens,
mais j’ignore si cela marchera. Ou si c’est vraiment moi qui dois accomplir les
rites. Ou si même je vivrai assez pour voir cela arriver. » Sa main se
resserra sur mon épaule. « Va, Derfel, dit-il. Va. Il faut que je dorme,
car demain je pars pour le sud. Mais viens en Dumnonie, au Samain. Viens voir
les Dieux.
— J’y
serai, Seigneur. »
Il sourit et s’en
alla. Je revins au Caer, stupéfait, plein d’espoir et assailli de peurs, me
demandant où la magie nous conduirait, et si elle nous emmènerait vraiment
ailleurs qu’aux pieds des Saxons qui reviendraient au printemps. Car si Merlin
ne parvenait pas invoquer les Dieux, la Bretagne serait à coup sûr condamnée.
*
Lentement,
comme se clarifie une mare qu’une agitation a rendue bourbeuse, la Bretagne se
calma. Lancelot, craignant la vengeance d’Arthur, alla se tapir à Venta.
Mordred, notre roi légitime, vint à Lindinis où on lui rendit les honneurs ;
mais il était entouré de lanciers. Guenièvre demeura à Ynys Wydryn sous le
regard impitoyable de Morgane, tandis que Sansum, l’époux de cette dernière,
était emprisonné dans les appartements réservés aux invités d’Emrys, l’évêque
de Durnovarie. Les Saxons se retirèrent derrière leurs frontières, bien qu’une
fois les moissons engrangées on les pillât sauvagement de part et d’autre.
Sagramor, le commandant numide d’Arthur, gardait la frontière saxonne tandis
que Culhwch, le cousin d’Arthur, redevenu une fois encore l’un de ses chefs de
guerre, surveillait la frontière belge de Lancelot depuis notre forteresse de
Dunum. Notre allié Cuneglas, le roi du Powys, laissa une centaine de lanciers
sous le commandement d’Arthur, puis regagna son royaume ; en cours de
route, il rencontra sa sœur, la princesse Ceinwyn, qui rentrait en Dumnonie.
Ceinwyn était ma femme comme j’étais son homme, bien qu’elle ait fait le
serment de ne jamais se marier. Elle arriva au début de l’automne, avec nos deux
filles, et je confesse que je n’avais pas été vraiment heureux jusqu’à son
retour. Je me rendis à sa rencontre sur la route, au sud de Glevum, et l’étreignis
longtemps, car par moments j’avais pensé ne plus jamais la revoir. C’était une
beauté, ma Ceinwyn, une princesse aux cheveux
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