Fatima
croyait connaître et l’homme à qui elle pensait ?
Mais, déjà, il lui tournait le dos, tirait une bourse de tissu du large baudrier retenant son épée. Il donna la bourse à l’étranger. Cette fois, Fatima dut tendre l’oreille pour comprendre mais, par chance, l’homme ne cherchait plus vraiment à être discret.
— Cinq pièces d’or de Ghassan, comme convenu, dit-il avec une pointe de mépris en regardant l’autre vérifier le contenu de la bourse.
Il attendit que l’étranger en renoue les cordons pour ajouter :
— Quand ce sera fait, tu trouveras les chameaux et les marchandises promises dans l’enclos d’Ajyad. Tu n’auras qu’à prononcer mon nom, et on te donnera les bêtes.
L’étranger glissa la bourse dans la manche de sa tunique.
— Tu n’as rien à craindre. C’est comme si tu entendais déjà le sifflement de ma lame sur le cou de ton faux poète.
Sans un mot ni un signe de plus, il s’éloigna, frôlant le tronc du palmier. C’est alors que l’homme à la nimcha se tourna en entier pour le suivre des yeux. Cette fois, il n’y eut pas d’étonnement, seulement une onde glacée de haine et de crainte qui réveilla les membres douloureux de Fatima.
Yâkût al Makhr !
Elle aurait reconnu sa nimcha entre toutes. Yâkût al Makhr, le grand mercenaire, l’âme damnée d’Abu Sofyan. Avec Abu Lahab, c’étaient là les pires ennemis de Muhammad.
Il y a longtemps déjà, Abdonaï lui avait raconté comment Yâkût avait promis la ruine de la maisonnée de sa mère et de son père après s’être fait ridiculiser lors de la mémorable razzia de Tabouk.
— Un mauvais coup monté par Abu Sofyan pour détruire la saïda Khadija bint Khowaylid. Mais ton père, qui n’était qu’un jeune chamelier, a, à lui seul, mis les hommes d’Abu Sofyan en déroute. Au nez et à la barbe du grand Yâkût al Makhr qui était censé défendre notre caravane ! Tout seul avec cinq vieilles chamelles ! avait ri Abdonaï. Tout Mekka s’en souvient encore. Yâkût n’a jamais pardonné. Depuis, il ne quitte plus Abu Sofyan, et il n’aura de paix qu’une fois vengé…
Combien de fois Fatima avait-elle dû supporter, au détour des rues et des places de Mekka, la morgue d’al Makhr ? Depuis des lunes il ne manquait jamais une occasion de vociférer des insultes au passage de Muhammad le Messager.
Le coeur battant à tout rompre, Fatima le vit qui s’éloignait à son tour vers le haut de la ville avec cette assurance qui lui était propre. Elle attendit que l’obscurité avale sa silhouette pour reprendre son souffle. Ses bras et ses jambes étaient maintenant aussi durs que de la pierre, tétanisés par la rage autant que par la douleur.
À bout de forces, serrant les dents, elle relâcha enfin sa prise, chercha à décoller doucement ses paumes du tranchant des tiges du palmier. La douleur irradia. Alors que ses mains s’ouvraient, elle cria. Elle cria encore en basculant en arrière tel un poids mort.
Fatima blessée
— Fatima ! Fatima !
Peut-être avait-elle rampé ou même marché un peu avant de s’évanouir de nouveau. Elle était couchée sur le sol, sa tête douloureuse sur son bras. Les palmiers étaient de l’autre côté du parvis, elle les voyait distinctement dans la lumière d’acier de la lune qui à présent éblouissait jusqu’aux murs de la Ka’bâ.
— Fatima ! Tu m’entends ?
La voix semblait lui parvenir de loin, tandis que l’ombre qui s’accroupissait près d’elle était toute proche. Chaude et réconfortante.
— Fatima ! Tu as mal ?
L’inquiétude dans le ton l’agaça. Si elle l’avait pu, elle aurait protesté et dit que non, tout allait bien. En vérité, elle avait mal partout, et même d’ouvrir les yeux sur la nuit lui donnait la nausée.
— Tu saignes ! Que s’est-il passé ? Ils t’ont battue ? Je t’ai cherchée partout.
Dans sa panique, Zayd parlait trop, et trop fort.
— Non… Non…
Les mains et les bras du garçon l’enveloppèrent et la soulevèrent avec douceur. Cela faisait du bien.
Elle dit :
— Je dois parler à mon père.
Comme s’il n’avait rien entendu, Zayd l’ensevelit sous une avalanche de questions :
— Qu’est-ce que tu fais là ? On te cherchait partout. Ashemou est morte d’inquiétude. Où es-tu blessée ? Es-tu blessée ?
— Tais-toi, tais-toi, marmonna-t-elle en lui agrippant le poignet.
Cette fois, il obéit. Elle respira mieux. Puis soudain
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