Fatima
mercenaires d’Abu Sofyan.
— Ce n’est pas compliqué d’imaginer ce qu’ils ont en tête, fit Abu Bakr, les yeux gonflés de sommeil. Faire assassiner Muhammad par des chameliers de Sanaa ou de Nadjran, des inconnus qui ne sont liés à aucun des clans de Mekka ou du Hedjaz, est une ruse à la hauteur d’Abu Sofyan. Si Muhammad mourait de la sorte, vers qui pourrait-on porter notre vengeance ? Vers personne…
— Je connais la cervelle de Yâkût comme si je l’avais faite, intervint Abdonaï avec mépris. Ses plans ne sont jamais compliqués. Quand ces pourritures du désert voudront récupérer leurs chameaux bien bâtés dans l’enclos d’Ajyad, ils y trouveront une vingtaine de mercenaires et se feront occire avant de pouvoir lever une lame.
— Et Abu Sofyan pourra se pavaner dans Mekka en les exhibant devant le peuple, approuva Tamîn en claquant des doigts. Il ira sur l’esplanade de la Ka’bâ et devant la mâla en se vantant d’avoir vengé la mort de Muhammad le Messager.
Après un court silence, il conclut :
— Oui, Abdonaï a raison. C’est sûrement ce qu’ils ont en tête.
Les visages s’assombrirent, comme si chacun se représentait enfin l’horreur du projet de Yâkût et d’Abu Sofyan.
— Sans doute Abu Lahab est-il lui aussi partie prenante de cette trahison, ajouta Abu Bakr.
Il s’adressa à Fatima :
— Mais quand doivent-ils frapper ? L’as-tu entendu ?
C’était dans la manière d’Abu Bakr de parler sèchement.
Et chacun depuis toujours s’y faisait, y compris Muhammad. Mais lorsque la fatigue et l’inquiétude l’emportaient, il devenait encore plus tranchant et autoritaire. Fatima ne se laissa pas impressionner :
— Si je le savais, Abu Bakr, je le dirais, même à toi que je n’aime pas, répliqua-t-elle avec insolence.
Tamîn al Dârî posa une main apaisante sur le poignet d’Abu Bakr.
— Qu’importe ! Il s’agit de la vie de Muhammad. Il n’y a pas de doute à avoir. Après-demain, ce sera le jour du grand marché. L’occasion est parfaite. Les étrangers pulluleront dans Mekka, et le Messager voudra aller parler sur la place du marché…
— Il faudra l’en dissuader ! le coupa Abu Bakr.
Abdonaï grinça, moqueur :
— Abu Bakr, depuis le temps que tu connais notre saïd, tu devrais savoir que tu parles pour ne rien dire. Muhammad ira droit dans la foule, même si nous le prévenons que cent lames l’y attendent.
— Pas cette fois. Il comprendra ce qu’il risque, s’obstina Abu Bakr, agacé. Je le lui expliquerai…
— Ne prends pas tes mots pour ce qu’ils ne sont pas, rétorqua Abdonaï. Muhammad demandera à son Rabb : « Que dois-je faire ?» Et si son Rabb lui ordonne : « Va et parle devant ces fous qui ne veulent rien entendre !», que vaudront tes conseils, Abu Bakr ?
Tamîn intervint à nouveau :
— Abdonaï dit juste. Néanmoins, il faut prévenir Muhammad. Il en jugera. Allons l’attendre devant sa chambre.
Déjà Tamîn se dressait. Prenant appui sur le mur, Fatima tenta de se lever de sa couche. La douleur de sa cheville se réveilla. Un gémissement fusa entre ses lèvres. Ashemou lui agrippa les épaules.
— Non, non ! Tu dois rester couchée !
Fatima tenta de la repousser.
— C’est moi qui dois parler à mon père, protesta-t-elle.
— Pas question ! Pour une fois, obéis et fais ce qu’on te dit, fille Fatima ! tonna Abu Bakr, déversant soudain la colère qu’il avait retenue jusque-là. Nous n’avons pas besoin de toi.
— Vous n’avez jamais besoin de moi ! s’écria Fatima sur le même ton. Et toi moins encore que les autres. Mais mon père, lui, a besoin de moi. Je le sais.
— Fatima, ne sois pas…, commença doucement Abdonaï.
Abu Bakr l’interrompit :
— Ça suffit ! Tu nous as dit ce qui était nécessaire, maintenant laisse faire ceux qui savent.
— Ne t’ai-je pas appris ce que tu sais, Abu Bakr ?
— Ne sois pas arrogante ! Ton père ne le permettrait pas.
— Si mon père a quelque chose à me dire, il me le dit. Tu n’es pas sa bouche.
Dans la pénombre, la rougeur d’Abu Bakr était aussi visible que l’embarras des autres.
— Te rends-tu compte de ce qu’il aurait pu advenir de toi et de nous tous, gronda Abu Bakr d’un ton plus menaçant, si Yâkût al Makhr t’avait découverte en train de l’espionner ?
Fatima eut un petit rire moqueur.
— Et peux-tu me dire, Abu Bakr, ce qu’il serait advenu de
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