Fatima
Zayd s’exclama :
— Tu as les mains pleines de sang !
La stupeur de Zayd lui aurait presque donné envie de rire. Elle posa son front contre son épaule.
— Ce n’est rien. Je suis tombée. Je me suis écorché les mains. Puis je me suis évanouie.
La chaleur de Zayd la réchauffait et lui remettait les idées en place.
— Aide-moi. Il faut aller à la maison. Je dois parler à mon père. D’urgence.
Elle se dégagea, posa un pied par terre en s’appuyant sur l’épaule de Zayd. Mais ses paumes lui firent trop mal et sa cheville gauche refusa de la soutenir.
— Il faut que tu me portes. Je crois que je me suis tordu la cheville.
Zayd allait se pencher vers le pied de Fatima quand il aperçut du sang dans ses cheveux.
— Tu t’es cogné la tête aussi !
— Chut ! Tu vas réveiller toute la ville. Personne ne m’a battue. Aide-moi. Dépêche-toi, c’est important. On parlera après.
Fatima dut d’abord apaiser les cris d’Ashemou et de Kawla.
En effet, une fois dans la lumière des lampes et des braseros, elle n’était pas belle à voir. Dans sa chute, sa tunique s’était largement déchirée, et une longue estafilade zébrait sa cuisse. En outre, si les palmes sèches amassées au sol avaient par chance amorti sa chute, sa tête avait frappé contre leurs nervures aussi dures que du bois. Le choc l’avait assommée, lui ouvrant le front sur la longueur d’un demi-doigt. Enfin, ses paumes entaillées en tous sens étaient noires de sang mal séché.
Ashemou et Kawla refusèrent de l’écouter avant que ses plaies ne soient nettoyées et enduites d’un baume purifiant. Elles enveloppèrent sa cheville déjà enflée d’un cataplasme de benjoin et de camphre. Pour être plus efficace, cette mixture avait été malaxée avec de la bouse de chamelle mêlée d’une fine glaise rouge.
Quand enfin les femmes autorisèrent Abdonaï à s’asseoir près de la couche de Fatima, il laissa éclater sa colère. Avait-elle seulement idée de la peur qui les avait saisis quand ils s’étaient aperçus qu’elle n’était pas revenue du cimetière ? Ils l’avaient cherchée partout alors que l’obscurité devenait de plus en plus épaisse. Ignorait-elle ce qu’il avait ordonné lui-même, et ce depuis des lunes ? Que désormais personne de la maisonnée ne devait s’aventurer dans Mekka la nuit, seul et sans lumière. Et tout particulièrement la fille du Messager !
Fatima endura la litanie de reproches les yeux clos. Puis, comme Abdonaï ne paraissait pas vouloir se taire, elle leva ses mains enveloppées de bandelettes de lin en un geste d’impatience.
— Peux-tu m’écouter au lieu de radoter comme un vieux ? Tu pourrais alors apprendre ce que tu ignores. Je sais ce qui s’est passé devant la Ka’bâ, Abdonaï. J’y étais. Ce n’est pas à moi qu’ils veulent s’en prendre, mais à mon père.
Abdonaï se tut d’un coup. L’étonnement du Perse fit sourire Zayd, qui assistait à la scène, en retrait dans un coin. Fatima vit les yeux d’Ashemou et de Kawla briller de curiosité.
— Ils veulent tuer mon père, Abdonaï, répéta-t-elle d’une voix assurée. Qu’est-ce que cela a d’étonnant ? Va le chercher. Il faut qu’il m’écoute…
Abdonaï se redressa.
— Pas maintenant. Il est seul avec son Rabb. Mais moi, je t’écoute. Qu’est-ce que tu sais que j’ignore, fille Fatima ?
— Tout ! gronda Fatima. Il n’y a pas de temps à perdre.
Abdonaï la laissa parler sans l’interrompre. Mais plus Fatima avançait dans son récit, plus son front se creusait de rides.
— Tu en es certaine, c’était bien Yâkût ?
— Aucun doute.
— Il faisait très sombre…
— J’ai vu son visage aussi bien que je te vois maintenant. Sa barbe, ses yeux… Et sa nimcha. Je la reconnaîtrais entre mille. Souviens-toi, il y a deux ans, tu t’es moqué de moi. Tu m’as dit : « Provoque Yâkût au combat. Peut-être sauras-tu lui prendre sa nimcha, comme ton père l’a fait pendant la razzia de Tabouk… »
Abdonaï acquiesça d’un signe et se tourna vers Zayd.
— Va réveiller Abu Bakr et Tamîn. Fais-les venir. Ils doivent entendre cela, eux aussi.
Ils durent se serrer dans la chambre où Ashemou et Fatima avaient leur couche. L’air en devint étouffant, saturé des odeurs des braseros, des baumes et des emplâtres. À leur tour Abu Bakr et Tamîn al Dârî s’assurèrent que Fatima avait bien vu le chef des
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