Fatima
seulement :
Je ne sers pas qui vous servez ,
Et vous n’êtes pas serviteurs de Qui je sers .
Je ne suis pas serviteur de vos adorations
Et vous êtes impuissants à connaître Celui que je sers .
À vous votre créance ,
À moi la mienne [4] .
Puis, sans attendre, il tourna le dos aux trois hommes. Abu Bakr et Tamîn, qui avaient anticipé son mouvement, déjà trouaient la foule pour qu’ils puissent s’éloigner. Abdonaï avait tiré son poignard de sa main valide. Brandissant sa torche, Bilâl, le géant noir, les devançait.
La stupeur laissée par les mots de Muhammad et la vivacité de son départ laissa Otba ibn Rabt’â et ses poètes sans réaction. Une rumeur roula sur la foule. Enfin, ayant recouvré ses esprits, le seigneur des Abd Sham hurla dans la nuit :
— Il s’en va, l’impuissant ! Il fuit, le châtré tout juste bon à sucer l’entrecuisse de la déesse Al’lat ! Mais demain, n’oublie pas, ibn ‘Abdallâh, tu seras encore dans Mekka et nous saurons te trouver !
À ces mots, la honte déchira Fatima. Comment pouvait-on cracher de pareilles horreurs, des ignominies qui méritaient qu’on vous tranche la gorge !
Oh, pourquoi était-elle si impuissante, si faible, si jeune ? Pourquoi n’avait-elle ni flèche, ni griffe, ni rien qui pût lui permettre de massacrer le visage infâme d’Otba ibn Rabt’â et de tous ceux qui insultaient son père ?
Une immense fureur lui noua les muscles. Il lui fallut un long moment avant qu’elle ne songe à quitter son perchoir. Son père et ses compagnons avaient déjà disparu.
Quand elle voulut changer de position, elle sentit une violente douleur. Elle s’était entaillé les paumes au tranchant du tronc de palmier. Elle dut faire un effort pour retenir la plainte qui montait dans sa gorge. Regardant au-dessous d’elle pour voir où elle pouvait prendre appui, elle découvrit au pied de l’arbre deux hommes qui complotaient dans l’ombre. Elle entendit le nom de son père.
— Tu l’as vu, maintenant, cet ibn ‘Abdallâh, disait l’un des inconnus. Tu l’as bien vu. Tu sauras le reconnaître en plein jour.
La stupeur manqua lui faire lâcher prise. Elle s’agrippa plus fermement au tronc. Par bonheur, l’obscurité la masquait.
Sous elle, les deux hommes n’avaient pas deviné sa présence et poursuivaient leur conciliabule.
— N’agis pas seul, disait le plus âgé du ton d’un homme habitué à donner des ordres. Entoure-toi d’hommes sûrs. Tu en auras besoin. Ibn ‘Abdallâh sort toujours accompagné. Méfie-toi du vieux Perse, il peut encore faire mal. N’oublie pas : dès que tu es assez près, vise la gorge. C’est le plus rapide.
— Je ne suis pas né d’hier, répondit l’autre d’un ton irrité. Je sais ce qui est à faire.
Il avait une voix jeune, orgueilleuse et agacée, au fort accent du Sud.
— C’est ce qu’on verra, railla le donneur d’ordre.
— Tu as promis que nous pourrions quitter Mekka sans encombre.
— Ne t’inquiète pas pour cela. Je serai dans la foule avec ce qu’il me faut d’hommes. Quand tu auras accompli ta tâche, nous aussi, nous ferons ce qu’il faut. Toi et les tiens, vous pourrez disparaître sans qu’on se soucie de vous.
— Pas les mains vides !
Le plus âgé eut de nouveau un ricanement sec.
Serrant les dents afin d’oublier la douleur qui enflammait ses paumes, Fatima se contorsionnait pour pouvoir examiner les deux hommes sans être découverte.
Abu Otba et les poètes avaient quitté l’esplanade de la Ka’bâ, entraînant derrière eux le gros de la foule. Plus personne n’entrait dans l’enceinte sacrée de la Pierre Noire. Les deux comploteurs ne craignaient plus qu’on les aperçoive. Ils firent quelques pas à l’écart du palmier. Leurs silhouettes apparurent, découpées par la lueur rouge et mouvante des torches. L’étranger portait la cape ordinaire des caravaniers. C’était un homme plutôt petit et sec. Hélas, son visage disparaissait sous un chèche aux franges bordées d’amulettes d’argent qui luisaient à chacun de ses mouvements.
L’autre se dissimulait adroitement sous le manteau et le pantalon bouffant commun aux riches de Mekka. Dans le mouvement vif qu’il fit pour écarter le pan de son manteau apparut le fourreau luxueux d’une nimcha à poignée d’ivoire. Fatima se mordit les lèvres pour retenir un cri de surprise.
Était-ce possible ? Était-ce vraiment l’arme qu’elle
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