Fausta Vaincue
crois que vous me menacez…
– Pas du tout. Je vous donne mes preuves. Supposons maintenant Valois supprimé par un de ces accidents que la Providence met parfois sur la route des rois… et des prétendants. Supposons ainsi qu’Henri de Navarre ne bouge pas. Bref, vous n’avez qu’à vous laisser couronner… si toutefois vos droits sont établis…
– Ils le sont ! dit vivement Guise en se raccrochant. Ils le sont par les preuves qu’a accumulées François de Rosières dans son livre…
– Livre dont j’ai payé l’impression sur deux cent mille exemplaires, livre qui a été répandu dans tout le royaume par mes agents…
– C’est vrai, madame, balbutia le duc.
– Donc vos droits ont été répandus par deux cent mille exemplaires du livre de l’archidiacre Rosières.
– Que nul ne peut contester !…
– Nul en effet… excepté l’archidiacre lui-même, dit tranquillement Fausta.
Guise pâle comme la mort regarda fixement Fausta. Cette fois le coup était si rude qu’il en chancelait et qu’il n’osait même pas demander l’explication de ces paroles… Fausta, sans se lever, allongea le bras vers une table placée près d’elle et y prit un mince volume qu’elle tendit à Guise en disant :
– Voici, monsieur le duc, un livre nouveau de messire François de Rosières, archidiacre de Toul. Comme vous pouvez vous en rendre compte, le digne ecclésiastique y fait renonciation complète à ses erreurs, demande pardon à Dieu de s’être laissé suborner par vous, et reprenant l’un après l’autre les arguments qu’il a entassés en votre faveur, les détruit… plus facilement, il faut l’avouer, qu’il ne les a échafaudés… Ah ! monsieur le duc, il est toujours plus commode de défaire que de créer !…
Guise, plongé dans une stupeur qui tenait de l’épouvante, feuilletait le volume d’une main tremblante.
– Il y a, continua Fausta, trente mille exemplaires de ce livre à Paris, quinze mille à Lyon, autant à Toulouse, cinq mille à Orléans, Tours, Angers, Rennes… partout, monsieur, il y en a partout !… Au total, quatre cent mille exemplaires dans le royaume… Que je dise un mot, et tous ces volumes sortiront des caves où ils attendent le jour… et la lecture.
Guise jeta violemment sur le parquet le livre qu’il tenait à la main, et se levant se mit à marcher à grands pas dans la direction de la baie derrière les rideaux de laquelle se trouvait Pardaillan. Le Balafré était sombre. La cicatrice paraissait sanguinolente dans son visage livide. Et de ses yeux jaillissait une telle flamme qu’il était évident qu’une pensée de meurtre hantait cette tête violente.
– Oh ! oh ! murmura Pardaillan, je ne donnerais pas un denier de la vie de la belle Fausta… si je n’étais là !… Mais je suis là, et je ne veux pas qu’on me la tue…
A tout hasard, il se prépara et, la dague au poing, attendit le moment d’intervenir.
Pendant cette seconde terrible où Fausta comprit parfaitement que sa vie ne tenait qu’à un fil, elle ne fit pas un mouvement… Elle jouait à cette minute son va-tout. Dompter le duc… ou mourir, il n’y avait pas d’autre alternative pour elle dans la situation désespérée où la plaçait sa défaite du matin. Dans le palais désert, abandonné, quelques femmes… quelques laquais… personne dont elle pût ou voulût attendre un secours.
Guise parvint jusqu’aux grands rideaux de velours, et Pardaillan sentit sur son visage le souffle rauque de cet homme qui débattait en lui-même la mort de Fausta. Mais sans doute le Balafré comprit qu’en tuant Fausta, il se tuait lui-même ; car, ayant fait demi-tour, et étant revenu à elle, il s’assit à la place qu’il occupait et gronda :
– Vous me traitez un peu durement, madame, et les précautions que vous avez prises contre moi m’enlèvent tout le plaisir que j’aurais eu à m’acquitter de bon cœur envers vous. Mais venons au fait… que voulez-vous ? que demandez-vous ?…
– Mes preuves vous semblent-elles suffisantes ? dit Fausta. Vous ai-je bien convaincu que si je retire cette main qui vous a guidé, qui seule vous soutient, vous n’êtes pas roi… vous n’êtes plus rien… qu’un rebelle ?…
– Oui ! frémit le Balafré avec une sorte d’abattement et d’humiliation.
– Bien, duc. Et maintenant que je vous ai montré l’abîme où vous roulerez si vous cessez de vous appuyer sur la main que je
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