Fausta Vaincue
ne comprenant rien à cette scène imprévue, aussi rapide qu’un éclair, Loignes, ivre de fureur, fit un bond pour s’élancer sur ce défenseur de Bussi-Leclerc. Mais en même temps, il se sentit saisi à bras le corps et solidement contenu par ses trois amis.
– C’est notre sauveur ! dit Chalabre…
– C’est celui qui nous a tirés de la Bastille ! dit Montsery.
– C’est le chevalier de Pardaillan ! dit Sainte-Maline.
Loignes recula d’un pas, se découvrit et dit :
– Eussiez-vous été le pape en personne que vous eussiez tâté de mon fer pour le mal que vous faites ici ; mais vous êtes M. de Pardaillan, et je n’ai rien à dire. Retirez-vous donc, chevalier, et laissez-nous accomplir notre besogne.
– Si je vous laisse faire, maintenant ! cria la voix narquoise de Bussi-Leclerc, derrière la porte.
– Bon, bon ! patiente un peu, et tu verras comme on défonce une porte et une poitrine ! répondit Loignes. Monsieur, ajouta-t-il en s’adressant à Pardaillan, c’est Bussi-Leclerc qui est là ; c’est votre ennemi autant que le nôtre ; je pense que si vous ne voulez pas nous aider, vous nous laisserez du moins occire en paix ce sacripant.
– Messieurs, dit Pardaillan en s’adressant aux trois jeunes gens, lorsque j’eus le bonheur de vous tirer des mains du digne gouverneur de la Bastille, vous m’avez promis, en échange des vôtres, trois vies et trois libertés…
– C’est vrai ! firent d’une seule voix Chalabre, Montsery et Sainte-Maline.
– J’ai donc l’honneur de vous prier de payer cette nuit le tiers de votre dette : je vous demande la vie et la liberté de M. de Bussi-Leclerc.
Les trois spadassins, d’un seul mouvement, s’inclinèrent. Loignes lui-même rengaina aussitôt sa dague et son épée qu’il avait tirée : c’étaient des gens d’honneur. Et si ce mot vous choque, lecteur, mettez-en un autre à la place.
– Je n’ai rien à dire ! grogna Loignes, mais j’enrage.
– Monsieur, dit Sainte-Maline en saluant galamment, nous vous cédons Bussi-Leclerc.
– Reste à deux, observa tranquillement le chevalier.
– Très juste, dit Montsery, et nous tiendrons parole jusqu’au bout. Cependant, un bon conseil : réservez pour vous-même une des deux vies qui nous restent à payer ; car c’est un mauvais tour que vous jouez ce soir à Sa Majesté, et elle pourrait bien nous donner l’ordre de vous tuer ce que nous serions désolés de faire si nous ne vous devions plus rien.
– Vous êtes trop bon, monsieur, dit Pardaillan qui salua de son geste le plus gracieux ; mais quittez tout souci en ce qui me regarde, et puisque vous êtes si bons payeurs, messieurs, veuillez me laisser le champ libre.
Les quatre hommes saluèrent et se retirèrent sans répondre à Bussi-Leclerc, qui derrière sa porte criait :
– Au revoir, messieurs ! Je vais vous faire préparer un cabanon digne de vous, à la Bastille !
Mais Sainte-Maline revint brusquement sur ses pas :
– Monsieur le chevalier, fit-il, y aurait-il de l’indiscrétion à vous demander pourquoi vous sauvez ce damné Leclerc, qui, somme toute, vous veut autant de mal qu’à nous ?…
– Aucune, monsieur, répondit Pardaillan. Je suis aussi bon payeur que vous, voilà tout le secret de ma conduite. J’ai formellement promis sa revanche à M. de Bussi-Leclerc. Or, comment aurais-je tenu ma promesse, si je l’avais laissé tuer ce soir ?
Sainte-Maline regarda avec étonnement le chevalier qui souriait, salua, et se hâta de rattraper ses compagnons.
– Maintenant, il s’agit de fuir, dit Loignes. Dans quelques minutes, Leclerc va ameuter toute la damnée procession.
Loignes était furieux contre Pardaillan, contre ses trois amis, contre lui-même ; mais comme la fureur ne pouvait remédier à rien, il la ravalait… c’était un homme pratique.
– Eh bien ! fit Chalabre, prenons à pied le chemin de Chartres.
Loignes se mit à ricaner et conduisit ses trois compagnons à un champ où les chevaux de Guise et de son escorte étaient attachés au piquet par le bridon. Chacun d’eux se glissa vers un cheval, le détacha, et sans le seller sauta dessus. Quelques instants plus tard, au milieu des vociférations, des cris de : « Arrête ! Arrête ! », les quatre spadassins s’élançaient ventre à terre sur la route de Chartres, et disparaissaient dans la nuit.
Pendant ce temps, Pardaillan s’était approché de la porte derrière
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