Fausta Vaincue
laquelle se trouvait Bussi-Leclerc et avait frappé du poing en criant :
– Monsieur ! hé ! monsieur de Bussi-Leclerc !
– Que désirez-vous, sire de Pardaillan ? demanda Leclerc, goguenard.
– Moi ? Rien. Je veux simplement vous dire que maintenant je suis seul, très seul.
– Et alors ?
– Alors, s’il vous convient d’essayer de prendre cette revanche après laquelle vous courez depuis si longtemps, eh bien ! je suis votre homme.
– Bon ! je préfère attendre…
– Comme il vous plaira, monsieur.
– Soyez tranquille, vous n’y perdrez rien.
– Ce n’est pas bien sûr, monsieur le gouverneur, dit Pardaillan.
– Bah ! fit Leclerc toujours narquois, vous croyez donc que je n’oserai pas affronter votre rapière ?
– Non pas ! Je vous tiens pour aussi brave qu’habile aux armes. Mais j’ai tant de chances d’être tué par d’autres qu’il ne vous en reste guère de me retrouver. Qui sait si j’arriverai seulement jusqu’à Chartres ?
– Si vous mourez d’ici là, reprit Bussi-Leclerc avec, cette fois, une sorte de grondement haineux, soyez sûr que je le regretterai, car c’est ma plus douce espérance, maintenant, que de penser à l’heureux moment où je vous mettrai les tripes au vent !
– Merci, dit Pardaillan. Qui donc vous empêche, en ce cas, d’essayer de satisfaire cette douce envie à l’instant ?
– Ah ! reprit Leclerc, c’est que je ne suis pas égoïste, moi. Je vais vous dire. Nous sommes quatre qui vous haïssons, et nous avons lié partie pour vous mettre à mal. Je puis même vous dire comment les choses se passeront.
– Je serai flatté de l’apprendre…
– Vous allez voir comme c’est simple : d’abord, comme je vous l’ai dit, je vous passerai mon épée au travers du ventre, sans vous tuer toutefois ; puis Maineville vous attachera à l’aile du premier moulin ; c’est une manie, chez lui, vous comprenez ? Puis quand vous aurez tourné suffisamment, c’est-à-dire jusqu’à ce que mort s’ensuive, Maurevert vous arrachera le cœur, car il a fait gageure de le manger sauté aux petits lards ; enfin, Mgr de Guise abandonnera votre carcasse au bourreau pour la tirer à quatre chevaux.
Pardaillan comprit que Bussi-Leclerc, en parlant ainsi, devait écumer. Il l’entendit grincer des dents.
– Vous comprenez, reprit Leclerc, que si je vous tuais tout de suite à moi tout seul, mes trois associés m’en voudraient la male mort. Tâchez donc de vivre encore quelques jours, jusqu’à ce que nous puissions mettre la main sur vous…
– Je tâcherai, fit doucement Pardaillan. Mais vraiment, je vous répète que je crains de ne pas arriver vivant jusqu’à Chartres. Vous devriez profiter de l’occasion…
– Non ! rugit Bussi-Leclerc.
Allons donc, c’est que tu as peur, Leclerc !
La porte, à l’intérieur, fut labourée de coups de poignard. Il y eut un trépignement, une série de grognements furieux.
– Bussi-Leclerc a peur ! cria Pardaillan à haute voix.
Par le pied fourchu du démon ! Par le sang du Christ ! Par le ventre de ma mère !…
– Tu me fais pitié, à t’entendre pleurer et trembler de peur…
Truand de sac et de corde ! Si Maurevert te mange le cœur, je te mangerai le foie !…
Bussi-Leclerc se mit à frapper la porte à coups de dague. Pardaillan haussa les épaules, et dans la cour, sur le fumier, à la clarté de la lune, il vit les gens de la chaumière qui, réveillés par le bruit, étaient sortis et, livides d’effroi, assistaient à cette fantastique conversation. Au mouvement que fit Pardaillan, ces gens reculèrent jusqu’à l’étable. Sans s’inquiéter d’eux, sans les voir peut-être, le chevalier se dirigea vers la grange et à l’entrée, trouva son compagnon qui, l’épée à la main, attendait les événements.
– Oh ! murmurait le jeune duc d’Angoulême, c’est affreux.
– Quoi donc ?…
– Les menaces de cet homme.
– Oui, c’est assez hideux. Partons, monseigneur ; l’air de ce village est malsain pour nous maintenant. Et quant à Maurevert, nous le retrouverons sûrement à Chartres.
Les deux hommes s’enveloppèrent de leur manteau et, d’un pas rapide, prirent la route de Chartres. Bussi-Leclerc continuait à sacrer et à faire derrière sa porte un vacarme extraordinaire. Au bout de dix minutes, les paysans s’approchèrent de la porte, et le maître du logis, ôtant son bonnet,
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