Fausta Vaincue
d’objection, suivit machinalement son compère qui, traversant avec rapidité le terrain de culture, parvint au mur d’enceinte.
– Cher ami, dit alors Picouic, colle-toi contre ce mur, tu feras la courte échelle ; grâce à Dieu, si tu as gagné en épaisseur, tu n’as rien perdu en hauteur ; j’espère donc en grimpant de tes mains sur tes épaules, atteindre le faîte de ce mur, après quoi, je te hisserai en haut et nous n’aurons qu’à nous laisser tomber de l’autre côté.
Croasse répondit :
– Le conseil est bon. Hâtons-nous donc…
Et il prit aussitôt la position indiquée par Picouic, lequel en quelques instants se trouva hissé sur les épaules du haut desquelles il put en effet atteindre, non sans peine, le sommet du mur sur lequel il s’assit à cheval.
– A mon tour, dit Croasse, penche-toi et me tends les mains.
– Excellent moyen de me faire retomber à l’intérieur, dit tranquillement Picouic ; tâche de trouver une issue : quant à moi, il faut que je parte à l’instant ; mais sois tranquille, je reviendrai te délivrer.
Là-dessus, laissant son compagnon stupéfait, effaré et épouvanté, Picouic se suspendant par les mains, se laissa tomber de l’autre côté du mur et se mit à descendre bon train la colline.
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Chapitre 14 MONSIEUR PERETTI
O r, dans cette soirée même, un cavalier qui venait de franchir la Porte-Neuve un peu après le coucher du soleil se dirigeait au pas de son cheval vers le moulin de la butte Saint-Roch, où nous avons eu naguère occasion de conduire le lecteur. Moulin abandonné maintenant, silencieux, jamais éclairé la nuit, et dont les ailes jamais ne tournaient sous la brise du jour. Parvenu au pied de la butte Saint-Roch, le cavalier descendit de sa monture, qu’il attacha à un arbre et se mit à monter vers le moulin.
– Halte-là ! fit une voix tout à coup.
Un homme armé d’un poignard et d’un pistolet surgit d’une haie et braqua le canon de son arme sur le cavalier qui, pour toute réponse, montra sa main à un doigt de laquelle brillait un anneau d’or.
– C’est bien, passez, dit alors respectueusement la sentinelle après avoir jeté un coup d’œil sur l’anneau.
Par trois fois encore avant de pouvoir pénétrer dans le moulin, le cavalier fut arrêté de cette façon, et à chaque fois, grâce à l’anneau, signe mystérieux devant lequel on s’inclinait avec un respect qui tenait de la vénération, il put continuer son chemin. Dans le moulin, on l’introduisit dans une pièce bien éclairée dont les fenêtres étaient soigneusement dissimulées sous des rideaux épais, afin que du dehors nul ne pût voir la lumière.
A cette lumière, quelqu’un qui se fût intéressé aux faits et gestes du cavalier, eût reconnu en lui l’un des principaux acolytes de Fausta, celui-là en qui elle avait placé toute sa confiance et qui remplaçait Farnèse dans la hiérarchie nouvelle instituée par la sombre conspiratrice.
C’était le cardinal Rovenni. C’était celui-là qui, dans le palais de Fausta, avait lu l’acte d’accusation contre Farnèse et maître Claude. Il portait un costume de gentilhomme armé en guerre.
Dans la pièce où il venait de pénétrer, un vieillard était assis, enfoui au fond d’un vaste fauteuil de bois sur une pile de coussins. Courbe, replié sur lui-même, très pâle, secoué par des accès de toux, le vieillard semblait bien près de sa fin. Le cardinal Rovenni s’approcha du fauteuil, se courba, s’inclina, s’agenouilla et murmura :
– Saint-Père, me voici aux ordres de Votre Sainteté…
– Relevez-vous, mon cher Rovenni, râla d’une voix bien faible le vieillard, relevez-vous, et causons en bons amis… Il n’y a pas ici de Saint Père… il n’y a que votre bon, votre excellent ami Peretti qui est bien heureux de vous revoir…
Ce mourant, c’était en effet le meunier qui dans cette pièce même avait eu sous le nom de M. Peretti, un entretien avec le chevalier de Pardaillan. C’était Sixte-Quint… Le cardinal Rovenni obéit à l’invitation du pape, se releva, et sur un signe à la fois amical et impérieux du vieillard, prit place sur une chaise.
– Peretti ! continua le pape ; simplement Peretti !… Hélas ! que ne suis-je vraiment le bon Peretti !… J’ai voulu goûter à la grandeur suprême, et voilà que la tiare m’écrase… Je meurs sous le fardeau… Ah ! si je pouvais déposer le pouvoir !… mais il est
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