Fausta Vaincue
destin ?… Il passait son temps à engraisser, chose qui lui arrivait pour la première fois de sa vie et qui était chez lui un sujet de stupeur admirative.
Quant à Croasse, il nageait en pleine félicité. Soit que Philomène eût pour lui des attentions gastronomiques plus empressées et plus ardentes, soit que Croasse fût un goinfre plus dévorant que Picouic, il est certain qu’il éclipsait son ami en splendeur rubiconde.
Il avait rapidement dressé Philomène à un manège qui se renouvelait toutes les nuits. La tendre Philomène venait-elle, le cœur battant, frapper à la porte du pavillon où Croasse avait élu domicile ? Croasse entrouvrait la porte et son cœur, puis jetait un œil attentif sur les mains de l’amoureuse vieille fille. S’il apercevait une bouteille dans chaque main de Philomène, il ouvrait et son cœur et la porte. Si les mains de Philomène étaient vides, il refermait le tout : conduite peu recommandable, et que, de nos jours, nous appellerions le chantage à l’amour.
Philomène accomplissait donc des prodiges et dévalisait la cave de l’abbesse. Il en résultait que Croasse avait pris une face vermeille qui le faisait paraître encore plus irrésistible ; sa voix était devenue plus creuse, plus profonde. Picouic engraissait donc simplement. Croasse gonflait à vue d’œil.
– Pourvu que tu puisses repasser par la brèche quand nous partirons d’ici, lui disait Picouic.
Devenu superbe dans la bonne fortune, Croasse répondait qu’il ne voyait pas la nécessité de s’en aller, et que cette nécessité se présentât-elle, il en serait quitte pour faire abattre un pan de mur. Picouic n’était pas sans quelque inquiétude. Il pensait que la passion exorbitante qu’une vieille nonne éprouvait pour le fastueux Croasse finirait bien un jour ou l’autre par s’évanouir, et qu’alors il faudrait décamper, reprendre le collier de misère, recommencer la vie d’aventures et de jeûnes forcés…
– Oui, mais ce jour-là, ruminait-il, je ne partirai pas sans emmener la petite chanteuse… La brèche est toujours là !…
Quelles ne furent donc pas sa stupeur et son inquiétude lorsque, la veille du 21 octobre, avons-nous dit, il aperçut des ouvriers maçons entrer dans ce que Philomène appelait le jardin, se diriger justement vers la brèche en question et commencer à la boucher au moyen de grosses pierres cimentées très convenablement.
– Mais il me semble qu’on nous enferme, dit-il à Croasse, qui comme lui assistait de loin et sans se montrer à ce travail imprévu.
– Tant mieux, répondit Croasse ; de cette façon, nous ne pourrons plus nous en aller.
Les deux compères s’étaient placés de façon à tout voir sans être vus. Lorsque la brèche fut entièrement bouchée, ils durent constater – Croasse avec une magnifique insouciance, et Picouic avec un commencement de terreur – qu’en effet ils ne pouvaient plus s’en aller, sinon par la grande porte du couvent.
Les murs de cette abbaye étaient ce qu’étaient alors tous les murs : de véritables fortifications, très élevés, fort difficiles à franchir, même avec une échelle. Maintenant, s’il était possible à Picouic à la rigueur de franchir les murailles, il lui serait sans doute presque impossible de les faire escalader à Violetta.
Cette impossibilité d’emmener avec lui la jeune fille qui devait assuré sa fortune devint une évidence lorsque Picouic aperçut dix hommes d’armes portant des piques se diriger vers l’enclos où était enfermée la petite chanteuse. Deux d’entre eux s’arrêtèrent à la porte de l’enclos, deux autres se mirent à faire les cent pas dans l’enclos, et les deux derniers, enfin, se placèrent à la porte même de la bâtisse qui servait de prison.
Cette fois, Picouic pâlit. Il se passait quelque chose de nouveau et d’anormal dans le couvent. Il se préparait quelque événement dont Picouic ne pouvait soupçonner la nature ?… Que pouvait-il résulter de tout cela ?
« Rien de bon ! pensait Picouic. »
La journée presque entière s’écoula pourtant sans qu’aucun incident nouveau fût venu justifier les craintes de Picouic. Mais, vers le soir, il y eut dans le jardin de nouvelles allées et venues d’autant plus mystérieuses que pas une nonne n’apparaissait.
Philomène et Mariange avaient disparu. Qu’étaient-elles devenues ?… Picouic était pâle d’inquiétude, Croasse lugubre.
– Tu as
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