Fausta Vaincue
trop tard maintenant. Pape je suis, pape je mourrai…
– Vous avez encore de longues années à vivre, heureusement pour l’Eglise, dit Rovenni en examinant avec attention les signes manifestes de la décrépitude qui démentait cet espoir.
Sixte-Quint haussa les épaules.
– Six mois, mon bon Rovenni… voilà ce que j’ai devant moi… et encore !… six mois tout au plus !… Et tant d’affaires encore à arranger !… Cette conspiration dans laquelle vous vous êtes laissé entraîner…
– Saint-Père !…
– Ce n’est pas un reproche. Vous et d’autres n’avez péché que par ma faute… je me suis montré un peu dur… je croyais bien faire… n’en parlons plus ! Vous voici revenu au bercail vous et les meilleurs de ceux que cette satane suscitée par le malin esprit avait réussi à convaincre… il faut donc, avant que je ne m’en aille rendre compte à Dieu, il faut, dis-je, que je puisse arriver là-haut en disant : « Voilà ! Je me suis laissé surprendre par l’ennemi, c’est vrai. Mais tout est en ordre, maintenant, et j’ai laissé les clefs à un vigilant gardien de la Maison. »
Rovenni tressaillit et considéra le vieillard avec plus d’attention.
– Celui qui doit me remplacer… continua Sixte.
Un accès de toux l’interrompit, si déchirant que Rovenni se leva pour appeler du secours.
Mais le pape l’arrêta d’un geste. Et lorsque l’accès se fut calmé :
– Vous voyez, dit-il tristement… Quand je dis six mois… je crains d’exagérer… mais ne parlons plus de moi… L’essentiel, dis-je, est que j’écrase cette conspiration avant de mourir, et puis, que j’assure ma succession à quelqu’un qui en sera digne… aura compris mon œuvre… et me jurera de la continuer.
Le pape darda un pâle regard sur Rovenni palpitant.
– Ce quelqu’un, ajouta-t-il, vous le connaissez… c’est un de vos amis… votre meilleur ami… car ici-bas, il n’est meilleur ami que soi-même…
– Saint-Père ! balbutia Rovenni en pâlissant de joie.
– Chut !… Je n’ai pas dit que ce fût vous que je destine à me remplacer, interrompit le pape avec un sourire ; j’ai seulement dit que c’était votre meilleur ami…
– Je sais que je suis indigne d’un tel honneur, dit Rovenni dont les mains tremblaient d’une joie profonde, et dont le regard s’éclairait d’une flamme ardente.
– Pourquoi donc ? dit Sixte. Parce que vous m’avez trahi ?…
Per bacco,
d’abord cela prouve que vous avez de l’énergie, et j’aime les gens énergiques, moi ! Ensuite, vous êtes revenu à temps dans le giron de la véritable Eglise… Plus tard, Rovenni, dans un mois ou deux, nous causerons de cela ; mais dès maintenant, je vous défends de dire que vous êtes indigne. Eh ! j’ai gardé des pourceaux, moi, si vous avez fréquenté des traîtres !…
Pendant cette tirade, le cardinal avait rougi, pâli, coup sur coup, balbutié de confuses paroles.
– Mon successeur, termina le pape, sera celui qui m’aura aidé à vaincre la terrible ennemie que m’a suscitée Satan. Or, c’est vous, mon cher, mon bon Rovenni, qui m’apportez cette joie inespérée…
Plus convaincu que jamais, Rovenni s’inclina en frémissant d’espoir. Mais il garda le silence dans la crainte de s’attirer encore un de ces terribles éloges dont le pape venait de le gratifier.
– Sait-elle où je suis ? reprit tout à coup le vieillard.
– Elle vous croit en Italie, Saint-Père, bien loin de supposer que vous êtes aux portes de Paris. Elle a connu votre entrevue avec le roi de Navarre et en a usé avec une grande habileté pour décider le duc de Guise.
– Navarre ! murmura Sixte-Quint. Le huguenot ! L’hérétique !…
– Que vous avez excommunié, Saint-Père, et exclu de tout droit à quelque trône ou principauté que ce soit !…
– Certes ! dit Sixte avec un sourire. Mais si l’hérétique rentrait dans le sein de l’Eglise !…
– Impossible !…
– Si Henri de Béarn abjurait, continua le pape, l’excommunication serait levée, entendez-vous, Rovenni !… Henri de Béarn reprendrait tous ses droits. Je lui aurais ainsi donné la couronne de France… mais j’aurais du même coup décapité l’hérésie !…
– Vos vues sont sages et profondes, murmura Rovenni en s’inclinant. Sixte Quint haussa les épaules.
– Les hommes sont des pourceaux, dit-il avec ce ricanement sinistre qui était si effrayant
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