Fausta Vaincue
peur ? demanda Picouic.
– Non, j’ai faim, dit Croasse étonné.
En effet, leurs deux approvisionneuses ayant disparu, Picouic et Croasse étaient menacés de sortir maigres de ce grenier d’abondance où maigres ils étaient entrés – si encore ils parvenaient à en sortir !
– Mais de quoi aurais-je peur ? reprit Croasse devenu blême à la pensée qu’un danger quelconque pût les menacer. D’ailleurs, ajouta-t-il en claquant des dents, il est impossible que j’aie peur, depuis que je sais que je suis brave.
– Moi, j’ai peur, dit Picouic. C’est pourquoi, attends-moi ici. Je vais tâcher de savoir ce qui se passe là-bas derrière le pavillon, près de la brèche maintenant bouchée, hélas !
Et laissant là son compagnon terrorisé, Picouic s’élança. Croasse regarda autour de lui pour tâcher d’apercevoir un trou où se fourrer. Mais l’enclos entouré de planches était maintenant gardé par des hommes d’armes. Sur sa droite, c’étaient les bâtiments du couvent, et il eût préfère mourir sur place plutôt que de se diriger vers ces bâtiments qu’il supposai envahis par une troupe mystérieuse. Sur sa gauche, vers le pavillon, c’étaient les ouvriers qui s’occupaient à une besogne inconnue ; c’était le côté que Picouic avait jugé dangereux. Croasse poussa donc un soupir qui ressemblait à un gémissement et s’assit dans l’herbe ; bientôt même il s’allongea de son long, et cachant sa tête dans ses bras, attendit le coup de grâce.
Quant à Picouic, se faufilant d’arbre en arbre, il ne tarda pas à gagner le pavillon et il le contourna en prenant les précautions que lui suggérait sa prudence habituelle. Un étrange spectacle frappa alors ses yeux. Derrière le pavillon une vingtaine d’ouvriers s’occupaient activement, sous les ordres de l’abbesse Claudine de Beauvilliers elle-même, à diverses besognes.
– Il se prépare ici une fête religieuse…
Telle fut la première pensée de Picouic. En effet, voici ce qui se passait.
Derrière le pavillon s’étendait une assez large esplanade bornée d’un côté par le pavillon lui-même, d’un autre par le mur d’enceinte qui se perdait au loin, et bordée au fond par un massif de cyprès entourant le cimetière spécial des Bénédictines.
Sur le derrière du pavillon s’ouvrait une porte ; en sorte qu’une personne entrée dans ce vieux bâtiment par la porte située près de la brèche (maintenant bouchée) pouvait, par cette porte de derrière, aboutir directement sur cette esplanade face au massif de cyprès clôturant le cimetière.
Maintenant, qu’on se figure que ce pavillon lui-même n’était que le prolongement ou pour mieux dire le vestibule d’une bâtisse plus vaste qui avait dû jadis s’élever sur cette esplanade.
Cette bâtisse avait disparu ; elle s’en était allée en ruine. Mais quelques débris encore debout permettaient de supposer que le bâtiment, ruiné par le temps et l’incurie, avait dû être sans doute affecté au service religieux ; là, sûrement, s’était élevé jadis une sorte de temple, une façon d’élégante chapelle comme en témoignaient deux ou trois colonnes qui s’élevaient dans le ciel pur de cette soirée.
Là aussi, entre deux colonnes, Picouic put apercevoir les restes d’un exhaussement dallé de marbre, et qui avait peut-être supporté le maître-autel… Il regarda avec anxiété.
Or, à quoi s’occupait cette compagnie d’ouvriers dont Picouic suivait attentivement les faits et gestes ? Une partie d’entre eux raclait l’herbe qui avait poussé, nettoyait les marches de marbre, et cette sorte d’estrade dallée sur laquelle, sans doute, s’était élevé le maître-autel. Ils raclaient également et lavaient à grande eau une stalle de marbre… une de ces stalles réservées à l’officiant, dans les grandes cérémonies de Pâques et de Noël, comme on peut encore en voir dans quelques vieilles chapelles très riches, la stalle en marbre sculpté ayant été jadis un ornement plus somptueux que la stalle de bois.
Au-dessus de cette stalle, de ce siège marmoréen, d’autres ouvriers dressaient un dais en étoffe brochée. Et la stupéfaction de Picouic fut à son comble et confina à la terreur, lorsqu’il eut constaté que sur la retombée de ce dais se croisaient les clefs symboliques de saint Pierre…
Qui donc allait s’asseoir là !… Et cette terreur du brave Picouic devint plus aiguë
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