Fausta Vaincue
Montmartre.
–
Va bene :..
J’enverrai en avant un homme à moi qui vous portera mes instructions. Arrangez-vous pour qu’il puisse entrer…
– A quoi le reconnaîtrons-nous, Saint-Père ?…
– Il portera au doigt un anneau semblable à celui que je vous ai donné… Il ne vous restera plus, mon bon Rovenni, qu’à me prévenir du jour…
– C’est de cela que je suis venu vous informer, Saint-Père…
– Et c’est ?
– Demain ! fit Rovenni triomphant. Si demain vers dix heures du matin, Votre Sainteté entre à l’abbaye de Montmartre, elle y trouvera rassemblés autour de la révoltée les cardinaux qui persistent encore en ce schisme étrange.
Un imperceptible tressaillement agita le vieillard. Rovenni s’était levé, et ce ne fut pas sans angoisse qu’il demanda :
– Moi, et ceux qui sont prêts à rentrer dans le devoir, devons-nous attendre Votre Sainteté ?
– Oui, dit nettement Sixte Quint. Lors même que je serais plus malade encore, Dieu fera un miracle… j’irai !
– Ainsi donc, Saint-Père, nous vous attendrons. Et nous attendrons d’abord l’homme porteur de l’anneau, que Votre Sainteté doit nous envoyer…
– Et vous lui obéirez comme à moi-même, dit le pape qui leva sa dextre pour bénir.
Le cardinal Rovenni tomba à genoux, reçut la bénédiction, puis, se relevant, sortit du moulin. Au bas de la butte Saint-Roch, il retrouva son cheval où il l’avait laissé. Il se hissa sur la selle et reprit au pas le chemin de la Porte-Neuve. Mais comme il allait tourner le sentier, il s’arrêta, considéra le moulin qui se profilait sur le front pâle de la nuit et murmura :
– Pape !… Avant deux mois je serai pape !… Il croit qu’il en a encore pour six mois… Mais il faudrait vraiment un miracle… et nous ne sommes plus au temps des miracles !…
Là-dessus, le cavalier se dirigea vers le pont-levis, et sans doute il avait quelque mot d’ordre, car à son appel le pont s’abaissa, la porte s’ouvrit… bientôt le cardinal Rovenni se perdit dans Paris.
A peine le cardinal était-il sorti de la pièce où M. Peretti l’avait reçu, que le vieillard affaissé dans son fauteuil redressa sa taille, puis se releva et ricana :
– C’est trop facile décidément de jouer les hommes ! Avec une promesse, on leur ferait trahir Dieu… Judas ! Imposteur !… Toi, pape !… Allons donc !… Et puis… patience ! je ne suis pas mort !… Six mois ?… Six ans !… Patience, par la Madone, patience, mon bon Rovenni, mes dignes traîtres !… que je vous amène seulement à Rome… et je me charge de vous enterrer tous avec les honneurs qui vous sont dus, sacripants !… Holà, Cajetan !…
En appelant ainsi, le pape frappa d’un marteau d’argent sur un timbre. Cajetan, l’intime et le véritable confident de Sixte, Cajetan que nous avons entrevu un instant au début de cette histoire dans l’hôtel de Catherine de Médicis, Cajetan donc apparut aussitôt.
– Combien d’hommes avons-nous ? demanda le pape : j’entends des hommes d’armes.
– Vingt… que l’on peut porter à trente-cinq en armant les laquais.
– Les vingt suffiront. Qu’ils se tiennent prêts à m’escorter demain. Et quant à toi, Cajetan, je vais te confier une mission où tu risques peut-être ta vie…
– Ma vie appartient au Seigneur et à mes supérieurs, dit Cajetan.
– Bon ! Tu me précéderas donc, tu entreras dans l’endroit que je vais te désigner : tu y trouveras une femme… cette femme, en mon nom et au nom de Dieu, tu lui mettras la main à l’épaule et tu l’arrêteras…
– Je l’arrêterai, dit froidement Cajetan. Qui est cette femme ?
– Fausta, répondit Sixte.
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Chapitre 15 LE 21 OCTOBRE 1588
V ers huit heures du matin, le prince Farnèse attendait dans la maison de la place de Grève l’envoyé de Fausta. Maître Claude, sombre et pensif, allait et venait lentement. Botté, cuirassé de buffle, le grand manteau de voyage agrafé aux épaules, il était prêt pour le départ. Parfois, sa main, machinalement, s’arrêtait à l’aumônière de cuir qu’il portait suspendue à son ceinturon. L’aumônière contenait un petit flacon ; dans le flacon, il y avait du poison.
« Pourtant, songeait Maître Claude, il ferait bon vivre dans ce bonheur qui va commencer pour elle et qui pourrait recommencer pour moi. Qu’ai-je fait de mal ? Est-ce ma faute si mon père et le père de mon père
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