Faux frère

retourna vers ses tourmenteurs :
    — Tous, tant que vous êtes ! hurla-t-il. Tous, vous serez damnés ! C’est une enceinte sacrée, ici, l’abbaye du roi en personne ! Et cet homme, poursuivit-il en pointant un doigt accusateur vers Corbett, cet homme est un suppôt de Satan !
    Le clerc jeta un coup d’oeil à la silhouette trapue et corpulente de frère Richard, et ce qu’il vit le rassura. Ce dernier n’en menait pas large. Son regard était fuyant et il humectait constamment ses lèvres du bout de sa petite langue rose. Quant à William Senche, près de lui, la peur l’avait dégrisé. À la fin, le sacristain cessa de vitupérer et se tint immobile, pantelant et bras ballants. Corbett observa sa coule et son capuchon noirs ainsi que sa cordelette effrangée blanche. Il avait été témoin de son accès de fureur et avait vu sa bouche écumante de rage et sa colère démoniaque. Avait-il devant lui le tueur qui traquait de pauvres filles dans les ruelles de Londres ? Le sacristain reprit son souffle pour se lancer dans une autre diatribe. S’il le laissait continuer ainsi, Corbett savait qu’il pouvait perdre le soutien de son escorte militaire. Quelques soldats, déjà, se montraient inquiets devant les imprécations terribles proférées par Adam of Warfield. Aussi Corbett s’approcha-t-il de lui et le gifla-t-il durement. Le sacristain recula en poussant les hauts cris et en se tenant la joue.
    — Sacrilège ! dit-il d’une voix sifflante.
    — Il existe des tribunaux, déclara doucement Corbett, devant lesquels je répondrai de mon geste, comme il y a des tribunaux, Adam of Warfield, où vous répondrez des actes abominables qui se sont commis ici. Moi, Sir Hugh Corbett, garde du Sceau privé, je vous arrête, Adam of Warfield, frère Richard et William Senche, intendant du palais, pour les horribles forfaits de sacrilège, trahison et collaboration avec les ennemis du roi !
    Adam of Warfield perdit un peu de sa superbe. Le menton affaissé, il se tint sur la défensive.
    — Qu’est-ce que cela signifie ? marmonna-t-il en lançant un regard noir à frère Richard qui gémissait faiblement, tandis que Corbett remarquait avec dégoût une petite flaque aux pieds de William Senche.
    — Oui, reprit le clerc. Les chefs d’accusation que j’ai cités ne sont qu’un début. Veuillez vous asseoir sur ce banc, tous les trois, et tous les trois, répondez à mes questions, comme vous êtes tenus de le faire de par votre allégeance à notre souverain. Et à la fin, je fournirai la preuve de ce que j’avance !
    — Je ne dirai rien ! hurla Warfield.
    Corbett le frappa derechef.
    — Vous répondrez à mes questions, tous les trois, ou vous serez emmenés à la Tour ! Si vous faites encore preuve de violence, en paroles ou en actions, ou si vous essayez de vous échapper, Messire Limmer a ordre de vous abattre. À présent, asseyez-vous !
    Les trois hommes furent traînés sur le banc.
    — Sir Hugh, vous ne risquez rien ?
    — Non !
    Corbett s’installa en face des accusés.
    — J’en suis sûr, Messire Limmer. Éloignez-vous maintenant. Je vous appellerai quand j’aurai besoin de vous. Les arbalètes de vos hommes sont bien chargées ?
    Limmer acquiesça.
    — Bien !
    Corbett se tourna vers les trois prisonniers :
    — Alors, allons-y !
    Il attendit que les archers ne puissent plus l’entendre pour se pencher et lever légèrement la main droite :
    — Je jure par ce que j’ai de plus sacré que je sais ce qui s’est passé ici : les orgies, les beuveries, les ripailles, les nuits de débauche, le commerce avec les prostituées de la ville.
    Il vit William Senche trembler d’effroi.
    — Vous, Messire, vous en répondrez devant le roi et votre seul espoir est de vous jeter à ses pieds et d’implorer sa miséricorde.
    Adam of Warfield parut sur le point de nier en dépit de tout, mais frère Richard se leva soudain d’un bond.
    — C’est vrai ! avoua-t-il en lançant un regard furieux au sacristain. Pour l'amour de Dieu, Adam, ne comprenez-vous pas qu’il est au courant de tout ? Messire Senche, ce clerc dit la vérité ! Je me refuse à mentir plus longtemps. Je confesse n’avoir pas respecté mes voeux. Je reconnais avoir fait mauvais usage des biens royaux.
    Il adressa un pauvre sourire à Corbett :
    — Et maintenant ? J’accepte mon châtiment : être mis au pain et à l’eau pendant trois ans, accomplir les tâches les plus ingrates de