Faux frère
Peut-être était-elle au courant de cette débauche et l’a-t-on réduite au silence ? Ensuite, ce qui m’a toujours intrigué, c’est que le tueur pouvait parcourir toute la ville en passant inaperçu. Et de fait, qui arrêterait et questionnerait un moine ? Et c’est encore un moine qu’on a vu entrer dans la maison d’une des victimes. Enfin, personne ne se méfie d’un moine, ce qui expliquerait que les victimes aient laissé approcher leur assassin.
Il contempla le cloître baigné de soleil. « Et cela concorde, aussi, pensa-t-il, avec ce que m’a dit le père Thomas. Un moine a, peut-être, tué ces filles non seulement pour les empêcher de parler, mais aussi pour expier un péché en répandant leur sang. Ce que m’a raconté le vieux cul-de-jatte prend tout son sens, à présent : les orteils tordus du diable étaient en fait des pieds nus dans des sandales de moine. Et, bien sûr, Lady Somerville a dû s’arrêter pour saluer le moine qui accourait vers elle. »
— La mort du père Benedict ? fit Cade avec fougue, interrompant la méditation de Corbett. Le vieux prêtre est mort parce qu’il avait vu ou entendu parler de ces activités nocturnes. C’est pour cela qu’il voulait me rencontrer... et qu’il a été assassiné.
Corbett, adossé au mur, approuva. Mais pourquoi organiser ces orgies ? Qui était ce Seigneur ? La fille pensait que ce n’était pas William Senche. Le sacristain Adam of Warfield, alors ? Mais pourquoi, pourquoi ? Le regard rivé sur l’herbe où les gouttes de rosée étincelaient comme des diamants, Corbett sentit le sang se glacer dans ses veines.
— Mais bien sûr ! s’écria-t-il. Cela coule de source !
Il revint en hâte vers la prostituée et lui agrippa le poignet.
— Tu ne peux rien m’apprendre d’autre ?
— Non, Messire. Je vous ai dit tout ce que je savais.
— Reste là, alors ! Cade, suivez-moi !
Et il sortit à grandes enjambées pour gagner le cloître où l’attendaient ses serviteurs.
— Ranulf ! Maltote ! Allons ! Ne restez pas plantés comme deux amoureux transis alors que la trahison et le crime règnent en maîtres !
Les deux hommes trottinèrent sur ses talons. Corbett prit rapidement congé de la mère supérieure, toute surprise, avant de remonter à cheval et de franchir les portes du couvent, comme s’il avait le diable aux trousses.
Ils galopèrent dans des sentiers tortueux, sans s’arrêter, puis pénétrèrent dans le dédale de Petty Wales, près de la Tour, où ils mirent pied à terre à la taverne du Turc Doré.
— Vous, Messire Cade, n’avez certes pas le temps de boire ! Vous allez avoir du pain sur la planche !
Corbett sortit un mandat de son aumônière.
— Donnez cela au connétable de la Tour. Dites-lui, avec les compliments de Hugh Corbett, garde du Sceau privé, que dans une heure je veux trois barges amarrées à Wool Quay. L’une pour nous, les deux autres chargées d’archers royaux. Je veux des hommes expérimentés et aguerris qui obéiront à mes ordres sans discuter. Non !
Il eut un geste de refus en voyant la mimique du shérif adjoint.
— Pas d’explications ! Faites ce que je vous dis et revenez ici quand tout sera prêt !
Il regarda Cade qui s’éloignait à vive allure.
— Que se passe-t-il, Messire ?
— Rien pour le moment, Ranulf. J’ai faim et me mettrai volontiers quelque chose sous la dent. Venez avec moi, si le coeur vous en dit.
À l’intérieur de l’estaminet, Corbett ordonna à ses serviteurs de se débrouiller seuls et demanda une chambre particulière.
— Je défends que l’on me dérange ! déclara-t-il au tavernier chauve, dont le tablier luisait de graisse. Apportez-moi du vin !
Il huma les alléchantes odeurs qui s’échappaient de la cuisine.
— Qu’est-ce qui est en train de cuire ?
— Des tourtes à la viande.
— Vous m’en ferez monter deux.
Corbett adressa un petit geste à un Ranulf éberlué et suivit l’aubergiste à l’étage.
La chambre était exiguë, mais propre, nette et bien rangée. Il resta quelque temps, allongé sur le lit de sangles, à regarder le plafond. Le tavernier lui apporta du vin et des tourtes sur un plateau. Corbett dévora son repas en essayant de réprimer son excitation : il entrevoyait, enfin, la marche à suivre. Il déroula le parchemin fourni par Cade et étudia les renseignements que les clercs avaient pu réunir sur Richard Puddlicott : celui-ci avait
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