Faux frère
dangereuse : elle vous avait vue et vous l’aviez aperçue. Toujours est-il que vous avez rédigé une fausse lettre en imitant, sans doute, l’écriture de Lady de Lacey et, déguisée en moine, vous êtes allée glisser cette note sous sa porte. L’a pauvre fille est tombée dans le piège. Elle n’aurait jamais pensé que son assassin choisirait un lieu consacré pour lui ôter la vie. Ce fut l’une des rares à ne pas mourir le 13 du mois. Il fallait la réduire au silence le plus vite possible car elle vous avait vue vous éloigner du cadavre d’une de vos victimes. En ce qui concerne Lady Somerville...
— C’est impossible, interrompit Lady Neville. Pourquoi Lady Fitzwarren aurait-elle assassiné un membre de notre congrégation ainsi que le pauvre père Benedict ?
— Vous supposez un lien entre les deux, et vous avez raison ! Elle s’habillait en moine, voyez-vous, revêtant la cape, les sandales, la coule et le capuchon d’un bénédictin. Elle les prenait dans le vestiaire qui jouxte cette salle capitulaire. Je ne peux avancer que des hypothèses, mais je présume qu’un jour Lady Somerville, chargée de nettoyer les vêtements sacerdotaux, a trouvé des taches de sang et peut-être même des traces de parfum sur un habit. Elle a dû être intriguée, bien sûr, ce qui explique sa constante référence au proverbe : « L’habit ne fait pas le moine. » Elle ne faisait pas allusion à quelque faiblesse morale de certains frères, bien qu’elle eût pu en dire long à ce sujet, mais elle entendait ce dicton au sens littéral : quiconque porte coule et capuchon n’est pas forcément moine !
— Et le père Benedict ? demanda Cade, reprenant du poil de la bête.
— Oh ! Lady Somerville s’est confiée à lui, j’imagine. Peut-être lui a-t-elle fait part de ses soupçons : la personne qui massacrait les prostituées de Londres était l’une de ses propres soeurs de la congrégation de sainte Marthe.
Corbett jeta un coup d’oeil à Lady Neville.
— Ce qu’elle apprit la bouleversa tellement qu’elle raconta ce qui se passait à Westminster sous forme de caricature. Les moines négligeaient leurs devoirs, certes, mais ils abritaient en leur sein un loup aux babines sanglantes. Cela explique aussi pourquoi elle désirait quitter la congrégation.
— Mais comment Lady Fitzwarren en est-elle venue à se méfier de Lady Somerville ? s’enquit Ranulf.
— Par pure supposition et logique. Seule la meurtrière pouvait comprendre l’énigme marmonnée par Lady Somerville, et elle s’est rendu compte, peut-être, qu’elle avait commis l’erreur de rendre un habit taché de sang, un habit bien particulier, puisque de grande taille. Elle aura guetté Lady Somerville et noté où elle se rendait. La vieille dame se refusait à se confier aux frères de l’abbaye, son histoire était trop incroyable pour qu’elle pût la narrer à un officier municipal et elle n’adressait plus la parole à son fils. Restait le père Benedict. Simple question de logique.
— Il a raison ! intervint Lady Neville, l’oeil rivé sur sa compagne. Il a parfaitement raison.
Elle éleva la voix, toute vibrante de colère.
— Lady Somerville et le père Benedict étaient des amis très proches.
— Cela ne fait aucun doute ! renchérit Corbett.
— Les morceaux du puzzle s’assemblent, commenta Ranulf en allant se placer derrière celle que Corbett accablait. Lady Fitzwarren avait deux atouts : habillée en moine, elle pouvait aller où elle le voulait et, en tant que Dame de sainte Marthe, elle savait quelles filles étaient les plus vulnérables et elle connaissait leurs habitudes, leur genre de vie et l’endroit où elles habitaient. Sans compter le fait qu’une femme se méfie moins d’une autre femme.
Ranulf se pencha et saisit Lady Fitzwarren par les poignets. Elle se débattit, avec la fureur d’une harpie.
— Scélérat ! souffla-t-elle. Lâchez-moi !
Ranulf la força à retirer ses mains de ses manches et jeta un coup d’oeil surpris à Corbett : elle n’avait pas d’armes.
Corbett scruta le visage ingrat et âgé où se lisaient haine et méchanceté. « Elle est folle », pensa-t-il. Comme tous les assassins, elle avait laissé un chancre lui dévorer et lui pourrir l’âme avant de lui empoisonner l’esprit. Elle le dévisageait comme une mégère malveillante prise la main dans le sac.
— Finalement, conclut Corbett, le mystère de la date
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