Favorites et dames de coeur
comme le monde : les « professionnelles » étaient tenaces et revenaient…
Une favorite en renom se devait d’en profiter et pousser les siens dans les bonnes grâces du monarque. La parentèle voyait soudain une manne imprévue s’abattre sur elle : dettes payées, procès interminables réglés dans les meilleurs délais, admission des sœurs sans dot comme demoiselles d’honneur à la cour, avec de riches mariages à la clé, carrières militaires ou ecclésiastiques inespérées pour des cadets désargentés… Tout cela grâce aux extases d’une sœur, talents d’un genre particulier que l’Évangile n’enseigne pas : « esprit de corps » ou « sens de la famille », appelons cela comme on voudra. Ces avantages choqueraient si les bénéficiaires s’en étaient montrés indignes, mais ils furent somme toute peu nombreux et firent honneur à ces nominations. Pour ne citer qu’un seul exemple, Abel Poisson, cadet de Mme de Pompadour, devint un mécène avisé et surintendant des Bâtiments du roi. Il est plus connu sous le titre de marquis de Marigny, que Louis XV décerna à son père, et dont il hérita. Notre époque de « promotion canapé » peut-elle se targuer d’aussi bons résultats ?
Le parcours de la combattante
Les favorites n’ont pas toujours bonne presse et bien des images fausses circulent sur elles ; on leur prête la même ambition, le même égoïsme, le même regard intéressé sur les hommes – d’abord le roi – et sur les choses – les moyens de s’enrichir aux dépens des finances publiques – comme si elles avaient toutes revêtu le seul masque de la femme avide ! Ce raisonnement simpliste fut d’ailleurs celui du bon peuple de France tant qu’il y eut des rois et des favorites : quand les affaires allaient mal, il s’en prenait toujours à ces dernières, qui incarnaient le péché et la perdition. Le souverain ne se trompait pas : lieutenant de Dieu par l’onction du sacre, cet être de chair et de sang bénéficiait de qualités surnaturelles qui le rendaient supérieur au commun des mortels. Mais les favorites et les « mauvais conseillers » le trompaient pour réaliser leurs sombres desseins : que le roi les renvoyât et tout rentrerait dans l’ordre ! On n’accusait jamais le roi d’injustice, mais on le plaignait d’être tenu dans l’ignorance des réalités : « Ah, si le roi savait…» fut la complainte de l’Ancien Régime.
La favorite n’était jamais sûre de ses acquis : la mort du souverain l’évinçait pour toujours et, en cas de régence, elle pouvait craindre le courroux de la veuve légitime. Mais elle cessait parfois de plaire du jour au lendemain, en cours de règne, à cause d’intrigues de cour, de jalousies, de ragots ou de rumeurs malveillantes, de mots imprudents qui menaient aisément à la disgrâce ; vieillissante, elle devait se méfier des frais minois qui surgissaient à la cour, avec l’idée d’y faire carrière comme elle : le roi était d’abord un homme et en amour, un visage peut vite en chasser un autre. Une favorite constituait un réseau d’amis, proches du roi, mandait leur appui, prévenait les inimitiés, tout en sachant qu’elle ne compterait que sur elle-même si les choses tournaient mal ; elle devait ruser, alterner morgue et assurance, placer ses affidés aux bons endroits, caresser les ministres dans le sens du poil. Des intérêts se rencontraient : désireux de s’attirer les bonnes grâces du monarque, les requérants assiégeaient sa favorite de louanges et de flatteries. Un seul mot d’elle au roi pouvait décider d’une carrière. Elle tenait sa propre cour, où les profiteurs sans scrupules croisaient les amis fidèles et désintéressés, disposait d’une « maison » avec de nombreux domestiques, gérait des fonds importants qui provenaient des revenus de ses domaines (héritages familiaux ou libéralités royales). Son état l’obligeait d’ailleurs à de fortes dépenses : condamnée à plaire pour survivre, elle achetait les plus belles robes, les plus beaux bijoux qui rehaussaient son éclat. Elle s’endettait parfois et devait affronter une meute de créanciers attentifs. Consolation, les artistes louaient sa beauté : les meilleurs poètes la rimaient, les plus talentueux peintres la dessinaient, les plus fameux sculpteurs la modelaient, mais la beauté est chose éphémère. Une favorite craignait toujours la roche Tarpéienne,
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