Favorites et dames de coeur
intérêt, non par amour, dans le plus strict anonymat : il ne prévint même pas ses parents ; une indiscrétion de presse leur apprit que leur second fils venait de convoler avec l’ex-favorite de l’empereur des Français. Ils refusèrent de la recevoir. La haute société londonienne la rejeta. Le couple se fixa en France dès 1856, mais le grand monde parisien se montra aussi impitoyable à leur égard. Ces dures rebuffades ne réconcilièrent pas le couple : Clarence prit sa femme en grippe et la délaissa. Définitivement oubliée par Napoléon III, Elizabeth-Ann se retira à Beauregard, à La Celle-Saint-Cloud. Elle avait acquis ce domaine de 190 hectares le 13 septembre 1852, avec le souci de devenir une respectable châtelaine, à défaut d’être une vraie comtesse. Elle venait d’aménager le château proprement dit, qui remontait au XVII e siècle. Les terres cultivables et le haras installé par Clarence rapportaient quelque 60 000 francs-or par an. Elle y mena une existence de recluse volontaire, avec quelques amies, recevant les épisodiques visites de son mari ou de Martin-Constantin : naturalisé français, bien vu de l’empereur, ce fils trop gâté par sa mère se destinait à la diplomatie.
Jusqu’à l’hiver 1864-1865, nul n’entendit parler de la fausse comtesse de Beauregard, qui ne quittait jamais son domaine. Toujours belle mais se sachant condamnée par la maladie, elle voulut revoir Paris avant de mourir et y retourna à maintes reprises. Apprenant que l’empereur et l’impératrice honoreraient de leur présence la première représentation d’un spectacle à l’Opéra, elle loua une loge et les scruta de sa lorgnette toute la soirée ; les échotiers en firent impudemment leurs choux gras. Elle avait atteint son but : revoir un homme qu’elle avait passionnément aimé. Ce fut sa dernière apparition publique.
Bienfaitrice des pauvres de sa commune, cette femme charitable consacra une large part de sa fortune à des œuvres de piété et diverses fondations philanthropiques. Elle devint l’amie de l’abbé Dubreucq, curé du Grand-Chesnay, et s’intéressa aux questions religieuses. Baptisée anglicane, Elizabeth-Ann se convertit au catholicisme quelques mois avant son décès.
Morte des suites d’un cancer le 19 août 1865, Elizabeth-Ann Trelawny, née Haryett, fut inhumée au cimetière du Chesnay 267 . Après de nombreuses vicissitudes, le château de Beauregard, abandonné, fut détruit en 1959 et le domaine voué au lotissement immobilier.
Femme de passion, « Miss Howard » songea moins à profiter de sa situation privilégiée qu’à sacrifier sa fortune à l’homme qu’elle aimait. Détail inattendu, elle ne sut jamais bien écrire ni parler français.
ANNEXE
Un besoin de respectabilité
Pour bien des gens qui, humainement parlant, ne la valaient pas, Elizabeth-Ann n’était qu’une fille entretenue, proche du trottoir. Ayant soif de reconnaissance sociale, elle tricha sur son identité lors du baptême de Martin-Constantin pour lui éviter la honte de la bâtardise : elle se fit passer pour sa sœur aînée… Au regard du droit anglais, il devint ainsi le fils légitime de ses grands-parents Haryett et le frère cadet de sa mère véritable ! Celle-ci s’inventa un autre état civil quand elle acquit Beauregard. On lui connaît ainsi cinq identités différentes dont seules les deux premières sont vraies : née « Elizabeth-Ann Haryett », elle devint légalement « Mrs Trelawny » par son mariage ; « Harriett Howard » fut son nom de scène ; elle se para abusivement du titre de « comtesse de Beauregard », et se fit parfois appeler « Elizabeth Alderton », veuve d’un imaginaire Martin Haryett ! Faisant suite à d’anciennes déclarations mensongères et usurpations d’identité, délits selon la loi, ces divers patronymes donnèrent bien du fil à retordre à ses exécuteurs testamentaires en 1865-1866 et même encore après la mort de son fils en 1907.
Le temps des demi-mondaines
Le sort se montra parfois injuste en matière de respectabilité. Contemporaine d’Elizabeth-Ann, Thérèse Lachmann bénéficia d’une chance incroyable. Née en 1819, cette prostituée du ghetto de Moscou épousa un tailleur français, vint à Paris, abandonna son mari et se fit courtisane de haut vol. Un comte portugais l’aima, puis l’épousa : devenue Mme de Païva, elle fut surnommée « Qui paye y va ». Autre bon
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