Fidel Castro une vie
vacances à Birán, trois mois l’été, quinze jours l’hiver, une semaine à Pâques. Hormis sur le plan financier, il a appris l’indépendance de bonne heure. Est-il ravi de rentrer à la ferme ? Il y a les bons côtés : les virées dans les bois, à pied ou à cheval ; la chasse, d’abord à la fronde puis avec le fusil offert par Ángel ; les baignades dans le fleuve Nipe qui traverse la ferme ; les expéditions à la mer, visible des collines proches ; les combats de coqs, le dimanche, avec ces paris qui enfièvrent l’atmosphère déjà chauffée au rhum ; les fêtes qui rythment les retours, Noël, les Rois mages et leurs cadeaux, la semaine sainte et son atmosphère étrange, tragique ; et surtout les cabanes, et les parties avec les gars du village. Fidel met en application les trucs qu’il a appris comme « général des explorateurs », avec Raúl – autre produit jésuite – pour second ! Le
Lider
, qui n’est certes pas un poète, a pu évoquer « cette brise parmi les grands pins qui séchait la sueur des chevaux ». Mais rien ne suggère qu’il ait alors perçu ce romantisme comme l’autre face de l’exploitation des paysans par son père.
Moins plaisant, à Birán : Ángel. Car le vieil homme ne sait pas le laisser en paix. Et certainement pas, comme l’a prétendu une hagiographie soviétique, parce qu’il passe des heures à lui narrer « les hauts faits de l’Indépendance » ! Non, le père a sans arrêt recours à son fils pour un coup de main : « Je passais une partie de mes vacances à un travail pas très volontaire. » Le pire n’est pas l’abattage du bois, où sa force fait merveille. Conduire le tracteur est même un bonheur. Mais il y a ces moments où il lui est demandé de tenir la boutique épicerie de Manacas. Fidelépicier ! Le garçon aura peut-être forgé à Birán son incapacité à rester en place.
La fin des vacances est le moment où don Ángel remet à son fils le viatique et l’argent du trimestre. Nulle voix discordante : le patriarche est généreux avec les siens. Et Fidel, sans être intéressé, a ses besoins. En prenant de l’âge il est devenu coquet : de quinze à trente ans, les photos en témoignent, bien s’habiller a constitué un des éléments de sa « dignité personnelle ». Les mignonnes ? Il en est peu question. Castro confiera à Franquí que, lors de fêtes rassemblant plusieurs établissements, « nous n’avions d’yeux que pour les filles… Nous étions obsédés, éblouis ». Il en conclura qu’une éducation séparant les sexes tend à créer « un trop grand souci de la question des femmes ». Et, de fait, Fidel, sans être inhibé, ne se montrera pas si à l’aise dans ses rapports avec l’autre moitié du ciel.
Ángel, après discussion, sort ses pesos – comme un bon grand-père, dont il a désormais l’âge pour Fidel. Celui-ci recevra des subsides de sa famille jusqu’au débarquement pour la Sierra Maestra.
Au total, donc, une enfance et une adolescence heureuses. Celles d’un jeune privilégié, même s’il est peu conscient de cet avantage. Avec, cependant, des éléments d’étrangeté : ce père, cette ferme, ces internats… De quoi assurer à Fidel à la fois la confiance en son étoile et l’insatisfaction récurrente de ce qui est atteint : deux traits que l’on retrouverait à la base de plus d’une carrière politique. Mais aussi une enfance et une adolescence « efficaces » – pour l’apprentissage intellectuel et le dressage du corps.
Fidel va sortir dans les dix premiers de Belén – c’est-à-dire de Cuba – en juin 1945. Voilà qui n’était pas joué à Birán. Laissons au futur
Lider
le dernier mot sur ses années de formation : « Les enseignements des professeurs et aussi de la famille ont contribué à installer en nous des principes moraux. Tout petit, j’ai appris qu’on ne doit pas mentir. On nous enseignait les notions de bien et de mal. Je reconnais que, dans notre société, la morale a pour fondement la religion. » Il ajoute, pour
Frei
Betto : « Les jésuites espagnols, malgré leurs idées politiques, ont su me communiquer un sens très fort de la dignité personnelle… Ils ont influencé ma formation avec leurs valeurs,la rigueur de leur organisation et de leur discipline, y compris le sens de la justice – un peu élémentaire, mais c’était un bon point de départ. » Bref, Fidel « remplira sans doute de pages brillantes le livre de sa vie ». C’est
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