Fidel Castro une vie
demeuré dans la coulisse avec le titre efficace de ministre de la Guerre – ordonnant les entrées et les sorties de présidents pantins –, décidait, en 1940, d’être candidat. Il fut largement élu, avec l’appui de l’armée, de la bourgeoisie d’affaires et du Parti communiste. La revanche de Grau devait sonner à la présidentielle de 1944 : il battit le candidat soutenu par Batista. L’ancien sergent se retira en Floride pour jouir d’une fortune amassée en dix ans. Mais Grau ne disposait pas, lui, du soutien des forces armées. Opposants ambitieux et pêcheurs en eau trouble allaient s’engouffrer.
L’ancien « général des explorateurs » s’est jeté à corps perdu dans cette mêlée. Portell Vila, historien cubain en renom longtemps avant le triomphe de la Révolution castriste, a assuré avoir eu connaissance d’un défi lancé par Fidel, dans les huit jours de la rentrée universitaire, à Manolo Castro, son homonyme, président de la Fédération des étudiants (FEU). L’anecdote suggère que l’adolescent s’est lancé sans même avoir pris la mesure de son nouveau milieu. Le monde qu’il a encore à l’esprit est celui du collège jésuite : un lieu où les rapports de force s’établissent selon des règles connues, où les désaccords peuvent de ce fait se résoudre en combat singulier. Sur le campus, la bravoure n’est certes pas un trait négligeable, mais elle doit s’insérer dans un jeu complexe de relations qui est tout simplement ce que l’on nomme « la politique ». Et cela, Fidel ne le sait pas encore. Il est donc explicable qu’il défie Manolo Castro, ce personnage considérable, en une sorte de joute médiévale. Mais c’est le propre des êtres intelligents d’apprendre vite, et Castro est intelligent. Alors il se porte candidat pour représenter la première année de sa section, les sciences sociales. Peut-être impressionné tout de même par le culot du jeune homme, le président de la FEU tentera de l’amadouer afin d’en faire un affidé. En vain ! Fidel, déjà, refuse de rouler pour quiconque autre que lui.
Et, pour son coup d’essai, Fidel réussit un coup de maître : il est élu. Il concourra donc à la désignation du représentant de toute la première année, lequel participera, avec ceux des autres années, puis avec ceux de la douzaine d’autres facultésde La Havane à l’élection du président de la FEU. Ainsi Fidel a-t-il posé le pied sur une première marche prometteuse.
Mais imagine-t-on le bouillant garçon entreprendre l’ascension patiente de la pyramide ? Sans préjuger l’avenir, on peut d’ores et déjà avancer que cette élection de l’automne 1945 est la seule où il ait jamais clairement triomphé dans un contexte démocratique ! Certes, ce point est contesté. Certains biographes, tel Lionel Martín, ont assuré que le futur maître de Cuba était parvenu à la vice-présidence de la faculté de droit. L’intéressé lui-même a laissé entendre que son cursus politico-universitaire était allé jusqu’à la présidence – mais dans des conditions, il l’admet, « peu claires ». (De fait un quotidien de La Havane, fin 1947, l’a mentionné comme « président de la faculté de droit ».) La confusion pourrait venir de ce que Fidel a multiplié les participations à des organismes parallèles, des « comités de soutien » de toute nature, où il était en effet important d’être présent pour se forger une base. Une certitude en tout cas : Castro, en juillet 1947, échouera à devenir secrétaire de la Fédération des étudiants.
Un mystère demeure sur les années d’étudiant de Fidel. Il faut ici naviguer entre demi-révélations et petits mensonges, témoins hostiles et thuriféraires. Où se situait le nouveau venu, portant beau et roulant en Ford V-8 offerte par son père, sur ce complexe échiquier ? Il savait où il n’était pas : du côté de l’ordre établi ! En cette deuxième moitié des années 1940, cela signifiait qu’il serait contre la démocratie. Oh ! certes, une démocratie pas très brillante. Un régime faible, un système un peu crasseux, avec ces affaires de corruption qui occupent la chronique. Une démocratie, en outre, importée du Nord. Que les Yankees puissants et dédaigneux en usent chez eux, grand bien leur fasse ! Qu’ils aient utilisé ce pavillon pour recouvrir en 1902 la marchandise de leur protectorat, puis en 1934 celle de leur prédominance économique : non
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