Fidel Castro une vie
l’annuaire du collège jésuite Belén (juin 1945) qui le dit…
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P REMIÈRES ARMES
(
1945-1952
)
Et quand quelqu’un ne comprend pas quelque chose, il ne faut jamais cesser de discuter avec lui, jusqu’à ce qu’il comprenne.
Fidel Castro, 2 décembre 1961
« Lorsque j’entrai à l’université avec mon diplôme de bachelier, je n’avais aucune culture ni dans le domaine économique ni dans le domaine social ni dans le domaine idéologique. » Carlos Franquí, qui fut longtemps le porte-voix du régime avant de s’en éloigner, rapporte ce propos de Fidel dans son
Journal de la Révolution cubaine
. Le lycéen de Belén avait été aveugle et sourd à la problématique de son époque. Il est « du point de vue politique, à l’âge de dix-huit ans, un analphabète » : le mot est également de Franquí. À dix-huit et même à dix-neuf ans, puisque c’est là son âge lorsqu’il entre, à l’automne 1945, à la faculté de droit de l’université de La Havane.
Or, trois ans plus tard, il sera déjà un (jeune) homme politique en vue à Cuba, avec parfois sa photo à la une et des extraits de discours dans les colonnes de quotidiens. C’est en effet l’une des stupeurs du biographe de découvrir à quel point, à La Havane au moins, Castro était déjà « Fidel », c’est-à-dire un personnage, avant la Sierra Maestra, et même avant l’échec, en 1953, de son attaque contre la caserne de la Moncada – l’événement qui allait fonder sa geste. Comment expliquer une évolution aussi foudroyante ? Par la rencontre d’un terrain nouveau, l’université, où pouvaient se donner carrière les grandes qualités du jeune homme.
L’université est un monde ouvert où un être en somme déjà préparé à la lutte pour la vie a pu épanouir les talents qu’avaientfait mûrir en lui les jésuites, mais que le caractère clos de leur institution avait tenus sous le boisseau. Or, sur le campus, il n’y a plus d’arbitre. Depuis la révolution de 1933, l’université est « autonome » – comme un peu partout alors en Amérique latine. Des instances élues déterminent les modalités de fonctionnement ; et la police n’y a pas accès. Or, un terrain communautaire a horreur du vide. L’absence d’un ordre préétabli provoque donc un regain d’activisme de groupes politiques. Ces organisations valent, en général, ce que valent ceux qui les guident. Il y a donc là un milieu apte à révéler les personnalités lorsque les conditions s’y prêtent.
Or, précisément, la situation est propice en ces débuts universitaires de Castro. Les élections démocratiques de 1944 ont porté au pouvoir un vieux professeur de médecine aux professions de foi réformistes et au
credo
libéral : Ramón Grau San Martín. L’homme n’est pas un inconnu à Cuba. Onze ans plus tôt, il avait présidé une éphémère République révolutionnaire, née du renversement de Machado : une désignation que lui avait valu son attitude courageuse contre la tyrannie. Il avait, en 1933, laissé les rênes à son ministre de l’Intérieur, Antonio Guiteras, un étudiant de vingt-cinq ans socialisant et nationaliste, avec pour premier point du programme de rendre à l’île une autonomie par rapport aux États-Unis. Grau et son équipe, largement issue du « Directoire étudiant », avaient été renversés début 1934 par l’Armée. Une force rénovée, elle aussi, par la révolution de 1933, qui avait vu triompher en son sein un mouvement de sous-officiers. L’homme du coup contre Grau était, de fait, un sergent – « dactylographe » de fonction, autant dire un lettré : un métis nommé Fulgencio Batista. C’est dire que le renversement du gouvernement révolutionnaire s’inspirait bien de la tradition militaire la plus constante – celle de l’ordre, avec l’objectif de rassurer Washington, et notamment un président Roosevelt disposé au « bon voisinage » avec l’Amérique latine. Mais le
golpe
de Batista n’était pas réactionnaire. Répressif, certes : on le vit avec l’assassinat, en 1935, de Guiteras ; mais la plupart des mesures progressistes prises avant 1959 datent aussi de cette période. Le Parti communiste ne s’y trompa d’ailleurs pas : en 1938, il décrétait que Batista n’était plus « le centre de la réaction ».
Et, en 1940, une Constituante régulière élaborait une charte considérée comme la plus avancée d’Amérique latine. Dans la foulée, Batista, jusque-là
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