Fidel Castro une vie
d’une Union soviétique alors elle-même saisie par une sorte de « démon de midi » a rendu possible cette équipée coûteuse. La gloire ambiguë en est revenue à Fidel sous la forme d’une éphémère présidence du mouvement des non-alignés (1979-1983), récompense de tant d’audace.
Au même moment s’était tenu le I er Congrès du Parti communiste cubain (PCC). Cette formation, née dix ans plus tôt afin d’encadrer une Révolution que, en 1961, Fidel avait soudain décrétée « socialiste », était restée jusque-là sans statut autre que le bon vouloir du commandant en chef. Le
Lider máximo
, comme en Europe on s’était pris à le surnommer, en fut confirmé premier secrétaire, et Raúl Castro le numéro 2.
Cependant, l’arrivée, en 1981, de Ronald Reagan à la présidence des États-Unis, avec dans son programme la promesse de lutter contre « l’Empire du mal », a contraint Fidel à plus de circonspection. Il a, en particulier, dû modérer ses ambitions en Amérique centrale et caraïbe. Et, en 1983, Washington allait l’emporter sans difficulté lors de sa première bataille frontale contre La Havane, dans la minuscule île caraïbe de la Grenade.
C’est la désignation, en mars 1985, à Moscou, de Mikhaïl Gorbatchev comme patron du Parti communiste soviétique qui a marqué l’inversion du cours des choses pour Fidel. Car, conscient des difficultés de l’Union soviétique, l’initiateur de la
Perestroïka
avait pris le parti de diminuer la voilure partout où ses prédécesseurs avaient engagé le pays : en Afghanistan, et indirectement en Afrique. C’est alors que prit fin la carrière mondiale du
comandante
. Cet homme à l’énergie débordante, à l’imaginaire protéiforme, à la curiosité insatiable, à l’idéologie rigide, à la volonté de pouvoir abyssale, dur envers ses ennemis au-delà de l’imaginable – cet homme qui n’avait jamais admis l’étroitesse de sa base territoriale – a soudain été ramené « aux limites qui nous enserrent tous », pour le dire avec les mots de Marguerite Yourcenar.
Toutefois l’activisme de Castro avait aidé à dénouer une situation dont nul ne savait comment sortir le « continent noir » : pour avoir vivement contribué à affaiblir le « pouvoir pâle » (celui de la minorité blanche) en Union sud-africaine, Castro aura aussi contribué de façon décisive à y éradiquer l’apartheid. De cela, son très cher Nelson Mandela viendra, sitôt parvenu au pouvoir, lui donner solennellement acte à La Havane.
Mais, déjà, la situation avait changé, car l’Union soviétique supportait de plus en plus mal de tenir à bout de bras ce que, dans une Moscou en proie à la révision des concepts sousl’effet de la transparence (
glasnost
), on appelait désormais « la danseuse cubaine ». La chute du mur de Berlin, fin 1989, et la disparition du bloc socialiste qui s’en est suivie, puis la dissolution de l’Union soviétique fin 1991, allaient précipiter Cuba dans une crise majeure. Ses pires effets ont duré un lustre, avec d’incroyables reculs de production. La disette et autres souffrances auront été le lot des citoyens en ces temps baptisés « Période spéciale en temps de paix ».
Castro allait-il sombrer dans la foulée des Kádár, Honecker, Ceausescu… ? Il a survécu. Les raisons ? L’organisation d’un contrôle social rendu plus aisé par l’insularité ; une fierté nationale exaltée par les « exploits » mondiaux du
Lider
; les « acquis de la Révolution », santé et éducation ; la difficulté constamment renouvelée de la contestation du fait de nombreux départs en exil, volontaires ou contraints ; une organisation policière portée à un haut niveau par le très méthodique Raúl Castro…
Fidel aura exercé son « dur désir de durer » par son charisme et sa roublardise. Son machiavélisme aussi : se souvenir des petites heures du 13 juillet 1989 où, à l’issue d’un procès inique, ont été fusillés le général Ochoa, héros des guerres d’Afrique et meilleur ami sans doute de Raúl, Tony La Guardia, damoiseau du fidélisme, et d’autres officiers. Le régime les avait accusés de trafics, dont celui de la drogue auquel il voulait qu’on crût Cuba étrangère. Pétrie d’états d’âme comme elle rentrait d’Angola, l’armée se vit ainsi signifier ce que lui coûterait toute rébellion. Quant aux civils qui, par dizaines dans les années 1980, ont commencé de
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