Fiora et le Magnifique
l’épaule, ajoutant que c’était pour éviter
de salir les draps. Puis elle la regarda prendre élégamment les morceaux de
volaille du bout des doigts qui touchaient à peine la sauce rousse :
– On
voit qu’ t’as été bien élevée ! commenta-t-elle. Une vraie princesse qui
sera à sa place dans les plus beaux palais. Dommage qu’on ne t’ait pas appris à
faire l’amour aussi bien mais, après l’affaire de demain soir qui sera
peut-être pas très agréable pour toi, je t’apprendrai à donner du plaisir à un
homme même s’il en a pas envie. J’ suis sûre qu’ t’es douée...
Fiora
ferma les portes de sa mémoire au souvenir toujours brûlant de sa nuit de
noces. Philippe avait été un merveilleux professeur mais elle ne voulait pas s’en
souvenir ici. D’ailleurs, des cris se faisaient entendre dans les profondeurs
de la maison et Pippa se précipita hors de la chambre pour aller voir ce qui se
passait en clamant qu’il était impossible « dans c’te taule » d’avoir
cinq minutes de paix. Mais, quand elle revint, quelques minutes plus tard, elle
tenait dans sa poigne implacable un paquet de haillons grisâtres d’où partaient
des gémissements. Elle jeta le tout sur le sol près du lit :
– On
a trouvé ça qui rôdait autour de la maison depuis déjà un moment. Tu saurais
pas qui c’est par hasard ?
Le tas
de chiffons s’agita, s’ouvrit et le visage épouvanté de Khatoun apparut. Du
sang coulait de son front.
Fiora
poussa un cri et, instantanément, se trouva à genoux auprès de la jeune Tartare
dont le visage s’illumina.
– Khatoun !
fit-elle. Qu’est-ce qu’on t’a fait ?
Elle
voulut la prendre dans ses bras pour l’appuyer contre son épaule et essuyer le
sang qui coulait encore mais Pippa la rejeta brutalement en arrière :
– Pas
touche ! On répond d’abord à mes questions ! Qui c’est ?
– Elle
s’appelle Khatoun. Mon père a acheté sa mère qui était une Tartare alors qu’elle
était enceinte. Celle-ci est née au palais et elle est ma compagne depuis
toujours.
– Une
esclave, hein ?
– Oui
mais je ne l’ai jamais considérée comme telle. Je... je l’aime bien. Il faut la
soigner, tu vois bien qu’elle est blessée.
– C’est
d’sa faute ! Elle s’ débattait comme un chat en colère quand Beppo, mon p’tit
frère, a mis la main d’ssus. L’a même griffé. Alors il a cogné. Maintenant,
faut savoir ce qu’elle faisait là ?
– Soigne-la
d’abord, s’écria Fiora. Tu vois bien qu’elle est en train de mourir !
Khatoun,
en effet, avait tenté de se lever mais les forces lui manquant, elle retomba
sur le dallage tandis que son petit visage verdissait et que ses narines se
pinçaient... Sans répondre à Fiora, Pippa se pencha, la prit dans ses bras et
la posa sur le lit en maugréant que les loques dont elle était vêtue allaient
gâter ses draps. Mais c’était incontestablement une femme efficace : en un
tournemain, sous l’œil inquiet de Fiora, elle lava la blessure, l’enduisit d’une
pâte qui arrêta le sang puis promena sous le nez de la malade un flacon de sels
qui devaient être particulièrement vigoureux car Khatoun sortit de son
évanouissement en éternuant.
– Là !
fit Pippa. Tu vois bien qu’elle est pas morte ! Maintenant, va falloir qu’elle
cause ! ...
– Un
peu de patience ! s’indigna Fiora. Donne-lui quelque chose à boire ! Un
peu de vin !
– Mais,
ma parole, elle me donne des ordres ? rugit la Virago qui s’en alla tout
de même chercher un flacon de vin dont elle fit boire un fond de gobelet à
Khatoun qui, en dehors du fait qu’elle semblait recrue de fatigue, reprit tout
à fait ses esprits. Elle raconta alors, comment, dès le lendemain des
funérailles de son maître, elle s’était rendue, sous des haillons de mendiante
aux abords du couvent de Santa Lucia. Son instinct, aiguisé comme celui d’un
animal fidèle, lui soufflait que Fiora était en danger dans cette « sainte »
maison. Et elle était restée là, ne s’écartant que pour acheter le peu de
nourriture que lui procuraient les piécettes jetées par les passants...
– T’as
pas eu d’ennuis avec la confrérie des mendiants ? remarqua Pippa. Tu m’étonnes
un peu : les places devant les églises et les couvents sont des places de
choix. Ça se paie, en général...
– Je
n’ai vu personne, dit Khatoun en levant sur l’immense femme un regard plein
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