Fiora et le Magnifique
d’innocence.
Le mendiant habituel était peut-être malade ?
– Peu
probable ! C’est solide c’te race-là. On est vivant ou on est mort. Pas de
d’mi-mesures. Mais continue ton histoire !
Il
restait peu à raconter. La deuxième nuit de sa faction, la petite esclave avait
vu la porte s’ouvrir au cœur le plus noir de la nuit. Des hommes masqués s’étaient
approchés et avaient reçu un long paquet sombre que l’un d’eux avait chargé sur
son épaule. Ils étaient partis silencieusement et Khatoun les avait suivis
jusqu’à cette maison où elle les avait vus entrer. Elle était sûre, sans
pouvoir expliquer pourquoi, que le paquet n’était autre que Fiora. Elle comprit
qu’elle avait raison quand la rumeur coléreuse de la ville lui apprit que le
jugement n’aurait pas lieu parce que l’accusatrice s’était enfuie... Dès lors,
elle avait été certaine que Fiora se trouvait dans cette maison où elle avait
vu entrer les deux hommes...
Les
yeux brillants d’espoir, Fiora suivait passionnément le récit de la jeune
Tartare mais elle n’osa pas, par prudence, poser la question qui lui brûlait
les lèvres. Ce fut Pippa qui la posa, négligemment, comme s’il s’agissait d’une
chose sans importance mais en jouant avec la longue épingle qu’elle venait de
retirer de sa tignasse.
– Comment
ça s’ fait qu’ t’as pas été appeler à l’aide ? T’as pas été chercher du s’cours ?
Khatoun
baissa les yeux et l’on put voir des larmes couler lentement sur ses joues
couleur d’ivoire.
– Je
suis retournée au palais pour prévenir et pour chercher de l’aide mais je n’ai
pas pu en approcher. Il y avait des soldats tout autour qui retenaient la
foule. Une foule... qui criait « A mort ! ... A mort, la sorcière !
» Il y en avait d’autres à l’intérieur. Ils fouillaient partout et... et ils
pillaient ; On entendait craquer les meubles qu’ils jetaient dans la
cour... C’était... affreux ! Et moi, je ne savais plus où aller... qui
chercher. J’ai pensé à donna Chiara mais le portier m’a chassée. Alors, je suis
revenue ici pour essayer... je ne sais pas trop quoi.
La
gorge nouée, Fiora avait écouté ces quelques phrases qui lui annonçaient sa
ruine totale et la fin de tous ses espoirs. Ce n’était pas du chagrin qu’elle
éprouvait – le chagrin, celui si cruel de la mort de son père, on ne lui avait
même pas laissé le temps de l’éprouver et elle savait qu’il reviendrait à la
charge plus tard – c’était de la fureur, de la rage impuissante. On lui avait
tout arraché en lui laissant tout juste l’honneur et, dans quelques heures,
cela même n’existerait plus. Elle serait profanée, avilie, irrémédiablement
souillée, rendue à la fange dont le bon Francesco Beltrami avait voulu
préserver un bébé innocent... Elle finit par exploser :
– Et
Lorenzo ? ... Lorenzo de Médicis, le maître de Florence, que faisait-il
pendant que l’on me cherchait pour me tuer, pendant que l’on pillait ma
maison... que l’on massacrait sans doute ma vieille Léonarde ? Où était-il
le Magnifique, le Tout-Puissant ? Dans son jardin de la Badia ou de
Careggi ? A regarder fleurir les lauriers en composant des vers à la
louange de la beauté ? Ou encore à lire quelque livre rare ? Mon père
en avait d’admirables... mais peut-être a-t-il pris soin de les faire enlever
pour sa propre bibliothèque ?
Elle
criait, pareille à quelque pleureuse antique cependant que des larmes amères
jaillissaient de ses yeux... Vivement, Pippa lui appliqua sa grande main sur la
bouche :
– Tais-toi
donc ! Tu veux donc nous faire tous pendre ? Il y a du monde dans
cette maison. Les filles sont au travail et les clients arrivent.
– Qu’as-tu
à craindre ? dit Fiora avec amertume. Je viens de te dire que les Médicis
ne sont pas si puissants que ça...
– Ils
ont tout de même des espions partout. C’est grâce à ça qu’ils sont les plus
forts, ça et l’or ! Z’ont pas l’ sang plus bleu qu’ moi et il le sait bien
le Lorenzo qu’a été épouser une princesse romaine pour en tirer de la graine de
prince. Allez, calme-toi ! Si ça peut t’ faire plaisir, j’te comprends. La
poire elle est dure à avaler.
– C’est
le moins qu’on puisse dire.
– D’accord
mais t’as tout d’même pas tout perdu. Y t’ reste ta belle gueule... et ton
corps. Quand j’t’aurai appris à t’en servir tu verras qu’on peut
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