Fiora et le Magnifique
compris ?
Fiora
se tordit sous la terrible poigne et ne réussit qu’à se faire mal. Bon gré mal
gré, il lui fallut bien se tenir droite et subir l’examen de la femme en
retenant des larmes de rage. L’autre la lâcha et s’écarta de quelques pas pour
la voir de pied en cap puis revint, lui prit les seins pour éprouver leur
fermeté, toucha son ventre, palpa ses fesses, caressa ses cuisses et finalement
soupira en jetant à Fiora une chemise de soie rouge usagée :
– Si
j’ fais pas fortune avec toi c’est que je serais vraiment la reine des gourdes !
Par Belzébuth, t’es un vrai morceau de roi ! Le client s’ra content mais
faut pas qu’y t’abîmes...
– Le...
client ? répéta Fiora abasourdie. Quel client ? Et d’abord, qu’est-ce
que c’est que cette maison ? Que veux-tu de moi ?
La
Pippa se carra devant elle, les poings sur les hanches, la dominant de toute sa
tête :
– Le
client, c’est celui qui t’a fait mettre ici, chez la Pippa, la maquerelle la
plus fameuse d’la Tyrrhénienne à l’Adriatique ! Il veut te dépuceler et
coucher avec toi jusqu’à ce que l’envie lui passe ! Ou jusqu’à ce qu’il
ait plus d’argent et j’espère bien que ça sera bientôt parce que maintenant que
je t’ai vue, j’ai pas l’intention d’te vendre à n’importe qui. J’ai même déjà
une idée...
Contrairement
à ce que la Pippa pensait, le fait de découvrir l’horreur de sa situation
galvanisa le courage de Fiora :
– Parce
que tu t’imagines que je vais me laisser faire ? cria-t-elle. Tu ne sais
pas qui je suis...
– Qui
tu étais, tu veux dire ? Parce que t’es plus rien maintenant, Fiora
Beltrami, moins que rien même : une criminelle en fuite, une sorcière
recherchée par l’Église et par les gens du Bargello ! Tu veux que je t’explique
pourquoi ?
– Bien
sûr, je le veux !
– Alors
écoute ! Hier matin, les sœurs d’Santa Lucia se sont aperçues qu’ tu t’étais
enfuie de chez elles, par la cour des cuisines et en passant le mur avec une
échelle. On a retrouvé ton voile sous l’échelle. Tout le monde croit qu’ t’as
pris la poudre d’escampette parce que t’avais la frousse du jugement d’ Dieu. C
qui voulait dire qu’ t’étais que d’la mauvaise graine. Comme t’étais pas là, la
Seigneurie t’a condamnée. Et il y avait là 1’ prieur d’San Marco avec un moine
espagnol et ils ont d’mandé que si on t’ retrouve, tu sois j’tée aux Stinche [xii] en attendant ton
jugement... et le bûcher ! T’as compris, cette fois ?
Fiora
plia sur ses jambes et se laissa tomber sur le tas de couvertures abandonné sur
le sol. Oui, elle avait compris l’infernale machination montée contre elle.
Certainement par les Pazzi, le vieux Jacopo et son infâme belle-fille. Elle
avait compris pourquoi Hieronyma avait réclamé l’ordalie avec autant de zèle :
tout devait être réglé avant que n’eût lieu la scène scandaleuse qui avait eu
pour cadre le parvis du Duomo. Les complicités étaient acquises, à commencer
par celles du prieur de San Marco et de fray Ignacio Ortega – celui-ci ne
venait-il pas de Rome où Francesco Pazzi était bien en cour ? – et Fiora
découvrait avec amertume que la puissance des Médicis avait des pieds d’argile,
qu’il était possible, sinon facile de la neutraliser en agissant sur le peuple,
ce monstre à cent mille têtes aux idées changeantes, et même sur la Seigneurie
où, cependant, Lorenzo avait installé des hommes qu’il croyait à lui. Elle,
Fiora, venait d’être emportée par cette brusque bourrasque, une autre pouvait
entraîner les Médicis eux-mêmes puisque, tenus à l’écart et à demi ruinés, les
Pazzi pouvaient encore agir et gagner.
Dressée
de toute sa taille devant Fiora, la Virago, les bras croisés sur sa poitrine,
jouissait de son triomphe sur cette belle créature qu’elle croyait brisée. Mais
elle la connaissait mal et même pas du tout. Brusquement, Fiora se releva, fit
face :
– Si
l’on me croit en fuite, est-ce que tu ne prends pas de grands risques en me
gardant ici ? demanda-t-elle froidement.
– Je
ne crois pas qu’le risque soit si grand. Qui aurait l’idée de chercher la fille
de Beltrami dans une maison comme la mienne ? De toute façon, le jeu en
vaut la chandelle. Je viens d’te dire que j’ compte sur toi pour asseoir
définitivement ma fortune...
– En
me livrant aux hommes qui viennent chez toi ? Tu
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